Trois questions à… Stéphane Albernhe, Président et Managing Partner, Archery Consulting. « Les déplacements d’entreprises vont aller en se réduisant tant en nombre qu’en fréquences, ce qui affectera globalement la rentabilité des compagnies aériennes ».

Comment voyez-vous la sortie de crise, post-pandémie, pour les industriels de l’Aéronautique ?

Comme tout organisme qui subit un traumatisme, l’écosystème du transport aérien a souffert, mais a appris sur la gestion de ce type de crise et surtout sur la façon de rendre les Business Models plus résilients. Les industriels de l’Aéronautique Civile sont en train de revoir leurs portefeuilles d’activités pour les dérisquer, en se diversifiant davantage, notamment en se positionnant sur des activités de Défense ou Spatiales, voire sur d’autres secteurs de grands Projets/Contrats (Nucléaire, Ferroviaire…). Ils revoient également leur stratégie « Make or Buy » et continuent à optimiser leur outil industriel pour le redimensionner au juste point de fonctionnement du moment. Enfin, ils ont pris conscience de la nécessité d’aller vers plus de performance et de robustesse opérationnelle : montée en gamme des processus et procédés, automatisation, digitalisation… pour regagner en compétitivité et surtout pour préparer l’avenir, notamment avec les besoins de ruptures technologiques attendus pour les avions de prochaine génération. Les prévisions de remontées en cadences des grands avionneurs, ainsi que les résultats récents communiqués par Airbus montrent que la filière industrielle est en plein rebond et que l’avenir se présente sous de bons auspices.

Attention néanmoins à vigiler les acteurs les plus fragiles de la Supply Chain, notamment ceux ayant une taille sous-critique, qui auront plus de mal à se transformer, et qui ont pu souffrir d’autant plus de la crise qu’ils avaient un mix défavorable de programmes, avec de l’A380, du B737 Max, ou des programmes à cadences ralenties (B787, A350, A330). Enfin, pour l’ensemble des acteurs de la filière, les enjeux de financement deviennent préoccupants, avec d’un côté des besoins historiques (remboursement des PGE, inflation des coûts d’achats et des compétences, accroissement du BFR avec le rebond, modernisation/digitalisation de l’ingénierie et de la production, préparation des technologies/produits/procédés du futur…) et de l’autre une communauté financière qui émet des signaux faibles inquiétants vis-à-vis de la filière A&D sous l’influence des courants de pensée de type « Flygskam » et des réflexions européennes en cours autour de la Taxonomie et de l’Ecolabel…

Le développement du télétravail et les plans d’économies des entreprises peuvent-ils avoir une influence durable sur le Business Model des compagnies aériennes avec, par exemple, une remise à plat de l’offre commerciale : moins de classes Première et Affaire au profit des classes Premium et Economie ?  Les compagnies dites Legacy vont-elles devoir se réinventer ?

Les entreprises auront toujours besoin de maintenir/développer leurs relations commerciales avec leurs clients et fournisseurs dans différentes parties du globe. Par ailleurs, la conquête de nouveaux marchés porteurs dans des géographies éloignées fait partie du plan stratégique de toute en entreprise qui veut croître. Les fondamentaux resteront donc porteurs. Cependant les modalités et les fréquences de déplacement vont être modifiées durablement. D’abord parce que suite à la crise sanitaire, les entreprises ont redéfini leurs processus de travail avec beaucoup plus de distanciel, ensuite parce que les outils du travail collaboratif à distance vont continuer à s’améliorer (y.c. leur fiabilité grâce à l’augmentation des débits) et surtout parce que sous la pression sociétale, le télétravail devient une valeur de l’entreprise ! Parallèlement, l’entreprise réduisant mécaniquement ses coûts, le télétravail sera de plus en plus encouragé (notamment dans le cadre de déplacements intragroupes ou de gestion courante de la relation avec les clients et les fournisseurs).

De ce fait, les déplacements d’entreprises vont aller en se réduisant tant en nombre qu’en fréquences, ce qui affectera la classe Economique et la classe Affaire, et donc globalement la rentabilité des compagnies aériennes, notamment si cela impacte significativement la classe Affaires, fortement contributrice à la marge. Les compagnies aériennes, et notamment les Legacies, vont donc devoir repenser leur offre, et très certainement adapter leur flotte.

Faut-il s’attendre à ce que le « Low Cost » se généralise notamment en Europe et en Amérique du Nord avec l’arrivée d’avions comme l’Airbus A321XLR. Quelles en seront les conséquences pour les compagnies aériennes ?

Avec la pression ESG croissante et les impératifs de rentabilité, les compagnies aériennes recherchent des avions moins consommateurs et moins polluants au sens large, des avions plus faciles à remplir et surtout des avions moins coûteux en coût d’acquisition, d’exploitation et de maintenance. Elles vont donc accélérer le renouvellement de leurs flottes avec des avions plus modernes et répondant de manière efficace à ces attentes. Par ailleurs, les grands hubs internationaux vont mettre des années à fonctionner à nouveau de façon efficiente, ce qui va accélérer la sortie des quadriréacteurs des flottes des compagnies aériennes (cf. les décisions d’Airbus et de Boeing d’arrêter respectivement la production de l’A380 et du B747). Avec l’A321XLR d’Airbus et demain potentiellement avec le NMA de Boeing (lancement hypothétique), c’est le retour du modèle « Point to point » qui s’annonce, couplé avec des hubs régionaux, moins importants mais plus faciles à faire fonctionner. Cette évolution requerra une adaptation des offres de services des compagnies aériennes et des aéroports, avec une double nécessité : celle d’un côté de converger vers un modèle opérationnel compétitif, et de l’autre de sécuriser un niveau de rentabilité permettant la préparation du futur (renouvellement de flottes pour les uns et d’infrastructures pour les autres).

Les compagnies « Low Cost » bénéficieront de cette évolution, ce qui leur permettra d’augmenter encore leur part de marché sur leur segment et facilitera l’émergence de nouveaux entrants, notamment sur les routes entre l’Europe et l’Amérique du Nord, marché particulièrement dynamique et concurrentiel. Là où le modèle « Low Cost » long courrier a eu jusqu’à présent du mal à émerger, l’A321XLR pourrait être le « game changer » tant attendu… Pour les compagnies Legacy, qui historiquement fonctionnaient avec un modèle opérationnel intégré, et qui décideront de conserver un positionnement sur plusieurs segments, il y aura une nécessité grandissante de procéder à un découplage des Business Models pour coller au plus près des facteurs clés de succès spécifiques à chaque segment, notamment de celui du « Low cost ».

A propos aerodefensenews

Bruno Lancesseur est rédacteur en chef la lettre AeroDefenseNews.net Pour nous contacter envoyez votre adresse mail à aerodefensenews@gmail.com
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