« L’aviation commerciale et le secteur aéronautique cherchent toujours leurs marques dans un nouveau paysage économique parti pour durer », selon le cabinet conseil AlixPartners, qui estime que le retour au niveau du trafic d’avant crise n’est pas à prévoir avant 2024, voire 2025. Pour les compagnies aériennes, cela se traduit par l’adaptation et le redimensionnement des flottes, la revue des routes commerciales et la réduction des coûts… Pour l’ensemble de l’industrie du transport aérien de nombreuses incertitudes demeurent, comme l’apparition de nouveaux variants, les restrictions de voyage et le taux de vaccination dans certaines régions notamment l’Asie. Dans un scénario optimiste, il faudrait donc attendre le 1er semestre 2024 pour revenir aux niveaux pré-Covid, voire fin 2025.
Après l’effondrement du trafic passager de 66% en 2020, la reprise au premier semestre 2021 s’est accélérée avec les campagnes de vaccinations, même si les taux de remplissage restent de 14 points inférieurs à 2019 et le trafic international peine à retrouver son niveau d’avant pandémie. L’activité internationale des compagnies aériennes en septembre 2021, était de 31% par rapport à son niveau de 2019 alors que le trafic domestique était lui revenu à 76% par rapport à 2019.
Par exemple, avec 6 millions de passagers en six mois, la compagnie Emirates, l’une des plus rentables au monde, est encore très loin des 30 millions de passagers transportés au premier semestre 2019-2020 et si son taux de remplissage est remonté de neuf points, il n’est que de 48% aujourd’hui. Le président d’Emirates, Tim Clark, reste néanmoins optimiste et souligne qu’Emirates ne perd plus 250 millions de dollars par mois…
Reprise du trafic mondial en ordre dispersé. « Le taux de vaccination est l’un des facteurs majeurs de reprise du trafic aérien avec les restrictions de voyage. Le continent asiatique est en retard sur les vaccins, l’Australie a mis en place des mesures fortement restrictives sur les déplacements… La vitesse de cette reprise dépend du mix entre trafic domestique et international. Parmi les régions les plus impactées se trouve donc le Moyen-Orient, dont le modèle repose uniquement sur leurs hubs et un trafic international. Tandis que les marchés domestiques forts, comme les Etats-Unis, sont les plus dynamiques », explique Pascal Fabre, Directeur associé au sein d’AlixPartners en France.
Le secteur doit aussi intégrer la faiblesse durable du voyage affaires, dont les passagers, moins sensibles aux prix, contribuent fortement à la profitabilité des compagnies. Selon les estimations d’AlixPartners, à l’horizon 2025, le voyage d’affaires aérien sera durablement réduit de 15 à 25% par rapport au niveau de 2019, notamment celui qui n’est pas motivé par un déplacement chez un client, représentant 40% du total. Les entreprises vont encore pour quelque temps restreindre les budgets de voyage, et la période Covid a relativisé la nécessité de voyager grâce aux nouveaux moyens de communication. Les considérations écologiques croissantes des entreprises sont également un facteur dans cette évolution. Conséquence : «les compagnies dont la profitabilité dépend beaucoup fortement du voyage d’affaires vont devoir repenser leur business model, réfléchir aux aménagements en cabine, réétudier les sources de rentabilité ou la viabilité de certaines lignes ».
Une analyse partagée par Oddo-BHF dont les analystes s’attendent à « une baisse structurelle de 17 à 35% du voyage d’affaires. « Parmi les principales raisons sont évoquées le développement des nouveaux outils de communication, les réductions de coûts et des motivations environnementales. Les réunions internes et les formations seront les premières à souffrir des changements d’habitudes alors que les voyages à des fins commerciales seront davantage préservés. A court terme, nous anticipons un rebond rapide sur le domestique plus exposé aux PME. En revanche, nous considérons que les conditions ne sont pas encore en place pour que le trafic international amorce un véritable redémarrage (report du retour au bureau, duty of care, hétérogénéité du contrôle de la pandémie…)», estiment les analystes d’Oddo-BHF dans une récente étude.
Reprise progressive des industriels aéronautiques. Du côté des constructeurs, le segment des avions long-courrier est le plus impacté. Les cadences de production sont à 40% de leur niveau de 2019. Les livraisons ne retrouveront pas le niveau pré-crise, en restant plus de 30% en deçà. Le segment des mono-couloirs se remet nettement plus vite (cadences de production à 64% du niveau de 2019), et retrouveront le niveau d’avant crise dès 2023. Le succès de l’A320 Neo et le retour du 737MAX n’y sont pas étrangers. L’A321XLR va offrir par ailleurs une solution plus adaptée à un nombre plus restreint de passagers sur une plus longue distance, et est seul sur ce créneau pour le moment. Logiquement, le marché de la maintenance et de la réparation (MRO) – 82 milliards de dollars avant crise – a chuté de l’ordre de 50% en 2020. Le retour à la normale devrait intervenir entre 2023 et 2025.
Tensions dans la Supply Chain avec la reprise. Si les aides publiques ont permis dans certains pays d’atténuer l’impact social de la crise inédite, et des baisses drastiques de production, les effectifs ont néanmoins été réduits sur de nombreux sites, parfois de 30 ou 40%, avec perte des compétences associées. Durant cette période de faible activité, les stocks et en-cours ont été fortement diminués pour libérer du cash, réduisant aussi fortement les amortisseurs de fluctuation de demande dans la supply chain. Parallèlement, «les remontés rapides en cadence annoncées notamment par Airbus – inédites sur les 20 dernières années-, vont nécessiter de trouver les moyens de financer cette nouvelle croissance alors même que la crise a mis à mal les capacités financières des entreprises», explique Alain Guillot, Directeur associé au sein d’AlixPartners.
En outre, l’industrie doit faire face aux augmentations de coûts des matières premières et du transport. Les prix des principales matières premières de l’industrie aéronautique ont augmenté entre 27% et 44% au 1er semestre 2021 (+31% pour le plastique, +44% pour les indices métal). Le secteur est également touché par la flambée des coûts de transport maritime. En juillet, le coût du fret Chine-Europe a atteint 12.795$ par FEU (Forty-foot equivalent Unit), en progression de 596% sur un douze mois. La reprise et la mise en route s’annoncent compliquées pour lindustrie.
Bruno Lancesseur
SOURCES : AlixPartners – Airlines, Aerospace & Defense Industry perspectives, novembre 2021 et Oddo-BHF, « Covid long et voyages d’affaires », novembre 2021.