Avertissement : publié dans le numéro 226 en page 3 de la lettre AeroDefenseNews, cette chronique annonçait les difficultés à venir pour l’industrie d’armement exportatrice. Deux années plus tard, cette analyse, malheureusement, déjà confirmée, nécessitait une actualisation que voici.
« L’ennui dans ce monde, c’est que les idiots sont sûrs d’eux et les gens sensés, plein de doutes » : voilà, résumée par Bertrand Russell la situation dans laquelle se trouve l’industrie d’armement exportatrice. En apparence, celle-ci se porte bien, mais l’inquiétude devrait être de mise, et non uniquement en raison de la baisse des exportations d’armement français qui ont baissé de 41% en 2020 sous les effets de la crise sanitaire et un manque de gros contrats. La zone Europe est la principale destination des exportations françaises avec 25%, suivi par la zone Proche e Moyen-Orient (24%), l’Asie-Océanie (22%), l’Afrique (16%), et les Amériques (13%). La crise est en effet plus profonde. L’industrie d’armement a perdu trois combats essentiels, tous liés, et le pire est qu’elle n’y est pour rien puisque ces marchés n’existent que par dérogation, laquelle ne dépend que de l’Etat français.
Le premier combat perdu est celui de sa raison d’être : vendre des armes à des clients étrangers est en passe, non de devenir un prolongement majeur de la diplomatie, mais un commerce mal assumé. Si l’Etat français défend encore ses exportateurs -ce qui est dans l’ordre naturel des choses puisque c’est lui et lui seul qui autorise l’exportation depuis le 18 avril 1939-, les observateurs ont bien senti qu’il en était gêné. Sur beaucoup de pays sensibles, l’Elysée n’assume pas ou mal ses responsabilités de parrain des ventes d’armes et se permet des volte-face sidérantes (absence au Brésil lors du lancement du premier sous-marin Scorpène ; critiques du régime de Sissi puis retrouvailles ; silence embarrassé envers l’Arabie et le Qatar ; relations tièdes avec les EAU). Seule l’Inde échappe aux sautes d’humeur présidentielles. Le pire est que cette morale éthérée et hypocrite qui détruit la position diplomatique de l’industrie n’est même pas utile puisque in fine, soit la concurrence en profite, soit elle affaiblit un rempart -autoritaire certes- mais nécessaire contre l’islamisme, qui est, des deux maux, le pire.
Le deuxième combat perdu est celui de la morale. Alors que la France, à la différence de nombreux pays occidentaux, a un système rigoureux de contrôle des exportations, elle se voit accusée de vendre n’importe quoi à n’importe qui et, surtout de le faire au moyen de la corruption. Le grand combat perdu de l’industrie d’armement (et de l’industrie tout court) aura été celui de la lutte contre la corruption. Face à Transparency International, elle a perdu en effet le combat principal en 2000 avec l’imposition de la convention OCDE qui bannit les « frais commerciaux extérieurs », les criminalise rétroactivement et la pénalise alors que les principaux corrupteurs avaient déjà trouvé la parade (Etats-Unis avec le FCPA de 1977) ou refusaient de signer un texte aussi suicidaire (Afrique du Sud, Israël, Chine, Russie, etc). Depuis 2000, l’industrie subit de plein fouet les effets pervers de procédures stériles qui sont la ruine de son commerce et la fortune des avocats et consultants spécialisés. Elle subit les procédures inquisitoriales sur ses contacts, consultants, contrats. Elle subit le détournement de ses échanges électroniques vers des serveurs situés à l’étranger. A force d’être pure, la France est épurée ; à force d’être morale, elle perd le moral ; à force de laver plus blanc que ses concurrents, elle sort lessivée. Et ce n’est pas tout : jugée coupable au tribunal de la morale à géométrie variable d’ONG manipulées ou naïves, la France est régulièrement traînée dans la boue par les medias et désormais devant les tribunaux avec l’Etat.
Le troisième combat perdu est celui du financement. Un Etat qui tergiverse sur certains pays sensibles (alors que les Etats-Unis, la Russie, Israël, l’Italie, l’Espagne, voire la Suède et plus hypocritement l’Allemagne, n’hésitent pas dans leur soutien diplomatique) et qui ne défend pas son industrie aussi sur un plan moral mais lui impose encore plus de procédures stériles, inquisitrices et onéreuses (Sapin II), ne peut qu’inciter des présidents de banques nationales, déjà sous le coup de procédures du Département américain de la Justice (DoJ), à se retirer progressivement du financement de l’exportation d’armement française. Or, sans financement tricolore, pas de projets ni de confidentialité possible. Ce combat-là, fondamental, est en passe d’être perdu : l’Etat en est-il conscient ?
L’exportation d’armement est à l’image même d’un Etat et un excellent baromètre de sa puissance et de son indépendance : qu’elle recule et c’est l’Etat tout entier qui perd ses positions internationales sur un domaine régalien par excellence ; qu’elle croisse, et c’est l’Etat qui devient fort et influent. Alors que l’Etat parle d’abord de redistribuer la richesse, l’industrie d’armement démontre qu’il faut d’abord savoir la créer. Donc exporter. Montesquieu ne disait pas autre chose dans L’Esprit des Lois que « Le commerce est la chose du monde la plus utile à l’Etat ».
Bonjour Bruno,
Hélas ! Vrai !
LCB