Les innovations de ruptures nécessitent un changement de paradigme complet
Depuis plus de 50 ans, le modèle d’avion « un tube et une voilure » est resté inchangé. Modifier l’architecture des avions et le système propulsif (open-rotor, aile volante, hydrogène) nécessitent des changements substantiels. En effet, au-delà de la conception d’un premier avion dé-carboné, les industriels doivent aussi s’assurer d’être en mesure de le produire à des cadences élevées. Ces modifications vont conduire Airbus à revoir tous les processus de production des chaînes d’assemblage initialement configurées pour la montée en cadence des modèles actuels. Elles présupposent aussi des changements structurels du côté des aéroports et des règles de sécurité aérienne. Toutes ces innovations de rupture prendront nécessairement du temps avant de devenir réalité. Changer d’architecture et de source d’énergie primaire simultanément revient à cumuler les difficultés. Il est donc probable qu’une seule de ces composantes soit modifiée à la fois. En l’espèce, Airbus mise sur l’hydrogène plus que sur le développement d’un avion 100% électrique.
L’avion électrique ou solaire ne semble pas être une solution de transport aérien massif
L’électricité se stockant dans des batteries, l’équivalent de deux fois la masse au décollage en batterie d’un appareil moyen-courrier serait nécessaire pour obtenir un rayon d’action raisonnable. Concrètement, une liaison Paris-Marseille en A320 électrique nécessiterait 184 tonnes de batteries alors qu’un A320 ne dispose que d’une capacité maximale de 97 tonnes. Les projets d’appareils électriques restent donc pour le moment cantonnés à des petits avions disposant de moins de 20 places[i]. L’énergie solaire ne semble pas non plus être une solution car elle nécessite une surface de voilure trop importante[ii]. Airbus mise donc plus concrètement sur l’hydrogène même si la question de la création d’une filière de production d’hydrogène vert reste entière[iii]. L’hybridation via des systèmes propulsifs utilisant à la fois le thermique et l’électricité pourrait être envisagée pour des liaisons régionales.
Airbus fait de l’hydrogène un outil essentiel du projet d’avion zéro émission
L’hydrogène est au cœur du discours porté par les administrations françaises[iv] visant à promouvoir cette source d’énergie au niveau national[v] et européen. Airbus en a fait un outil essentiel de son projet d’avion dé-carboné tel qu’il pourrait voler à l’horizon 2035.
L’avionneur a dévoilé en septembre 2020 trois concepts d’appareil dont deux s’inscrivent dans le plan gouvernemental avec l’objectif d’une mise en service commercial en 2035[vi]. Parmi les trois projets développés sous le nom « ZEROe », on trouve ainsi :
. Un appareil hybride régional à hélice pouvant embarquer 100 passagers, pour des distances de l’ordre de 1000 kilomètres, il emprunterait beaucoup à la famille actuelle des ATR.
. Un mono-couloir à hydrogène : cet avion de configuration classique pourrait aller jusqu’à 200 places avec un rayon d’action permettant de faire plus de 3500 kilomètres. Le réservoir cylindrique d’hydrogène liquide serait alors logé à l’intérieur du fuselage dans la partie arrière de l’appareil.
. Une aile volante pour les long-courriers à hydrogène : ce projet disruptif[vii] permettra d’étudier une configuration complètement différente pour le stockage de l’hydrogène et la propulsion.
L’hydrogène nécessite toutefois encore de nombreux efforts de recherches avant de pouvoir devenir une solution de transport aérien :
L’encombrement reste un enjeu crucial dans la mesure où l’hydrogène même liquide est 4 fois plus volumineux que le kérosène.
Il existe des incertitudes sur la faisabilité d’amener en sécurité de l’hydrogène à -253 degrés dans un avion avec les bons niveaux de performances techniques. L’hydrogène doit être refroidi avant d’être réchauffé pour passer dans le moteur. Les motoristes doivent donc réfléchir à la manière de permettre sa combustion.
Si l’hydrogène n’émet pas de CO2, sa combustion à haute température émet des oxydes d’azote (NOx) polluants et contribue à la formation des trainées de condensation. L’hydrogène a tendance à chauffer, notamment en cas de fuite et peut s’enflammer et / ou exploser. Il existe donc des enjeux de certification et de sécurité aérienne majeurs.
Tous ces obstacles pourraient pousser les industriels à cantonner l’hydrogène uniquement aux vols court-courriers. Pour les vols moyens et long-courriers, le recours à d’autres types de carburants durables pourrait être plus pertinent. Pour véritablement « décarboner » le secteur aérien, il sera ainsi peut-être nécessaire de faire coexister plusieurs solutions en fonction du segment de marché (l’hydrogène sur les petites distances et les Sustainable Aviation Fuel pour les moyen-courriers). Le plan gouvernemental pousse à une accélération des séquences technologiques vers le développement d’un avion « ultra sobre » et possiblement à propulsion hydrogène. Il reste toutefois difficile de dire quel concept sera finalement mis en service en 2035. L’hydrogène pourra effectivement s’inviter à bord si le bon niveau de maturité est atteint.
Conclusion : Les efforts du secteur en faveur du développement d’une aviation dé-carbonée d’ici 2035[viii] sont donc bien réels et certaines solutions permettent dès maintenant de réduire l’impact environnemental des avions existants. Ce n’est qu’en travaillant de concert que l’écosystème aéronautique au sens large (motoristes, avionneurs, compagnies aériennes, aéroports et sociétés d’énergie) parviendra à faire émerger des solutions concrètes de transport aérien massif et dé-carbonée tout en restant compétitif.
[i] Pour ce type d’avion, l’option hybride électrique reste pertinente et est toujours d’actualité.
[ii] L’expérience de Solar Impulse prouve qu’il faut une voilure immense. Sa vitesse est faible et sa capacité d’emport limitée.
[iii] La production par électrolyse de l’eau, à partir d’électricité décarbonnée ou renouvelable semble à privilégier.
[iv] Le gouvernement va consacrer 7 Mds EUR d’ici à 2030 au développement de cette énergie propre, dont 2 Mds programmés dans le plan de relance. Ils seront investis selon trois priorités : 1/ décarbonner l’industrie en faisant émerger une filière française de l’électrolyse 2/développer une mobilité lourde à l’hydrogène incluant l’aviation 3/soutenir la recherche, l’innovation et le développement de compétences pour favoriser les usages futurs. En Europe, l’émulation autour de l’hydrogène se confirme contrairement aux Etats-Unis. La position américaine s’explique par le choix industriel de Boeing de ne pas miser sur l’hydrogène autant qu’Airbus.
[v] Le gouvernement a annoncé le 11 janvier 2021 l’instauration du Conseil national de l’hydrogène, composé d’une quinzaine d’industriels, chargé de contribuer au déploiement en France de l’hydrogène décarboné.
[vi] Airbus mise sur une solution par segment de marché. L’appareil régional entrerait en service vers 2030 et le moyen-courrier successeur de l’A320 entre 2033 et 2035. Un premier démonstrateur entre 2026 et 2028.
[vii] Cette aile volante fait l’objet d’études depuis plusieurs décennies. Un modèle réduit de démonstrateur d’aile volante baptisé Maveric vol depuis juin 2019.
[viii] Airbus planche notamment sur des solutions pour réduire dès 2025 la consommation de ses gros porteurs via des vols transatlantiques en formation. Pour réduire la consommation de carburant des avions de 5 à 10 %, Airbus veut s’inspirer du vol en V des oiseaux migrateurs. L’avionneur cherche à transposer ce vol en formation à l’aviation avec son projet fello’fly, en collaboration avec les compagnies French Bee, SAS et des prestataires de services de navigation aérienne dont la Direction des services de la navigation aérienne (DSNA). Chaque moteur d’avion produit dans son sillage un vortex contenant un courant d’air ascendant dont pourrait bénéficier l’avion suiveur pour réduire la poussée de ses moteurs et sa consommation.