Un an après la plus grave crise de l’histoire du secteur aéronautique, l’environnement général reste instable, marqué par une reprise fragile et où l’incertitude domine. Passé la sidération et la frénésie de l’instant, les états-majors des mastodontes de l’aéronautique mondiale sont à la manœuvre pour accélérer la relance.
Par sa magnitude, nous avons acquis la conviction qu’il n’est pas censé de comparer la crise de la covid avec toutes autres crises. Nous estimons nécessaire d’aborder la reprise par une combinaison de mesures conjoncturelles et structurelles pour repenser modèles économiques, industriels et organisationnels.
A première vue, on serait tenté de penser que les mesures de préservation et de sauvegarde prises dans l’urgence l’an passé ont été bénéfiques, permettant la survie de la quasi-totalité des acteurs du secteur à date. A y regarder de plus près, le diagnostic s’avère plus complexe et ces résultats ne doivent pas occulter les nécessités et contreparties ayant permis d’aboutir au constat suivant un an plus tard :
Chute des revenus de l’ordre de 50 à 70% sur la période pour la quasi-totalité des acteurs.
Coûts fixes n’ayant réduit que de 15 à 20%, véhiculés majoritairement par des mesures d’attrition ; soit une cinétique trois à cinq fois inférieure à celle des revenus, sans véritable impact sur la structure des organisations.
10 et 15 millions de dollars de « cash burn » encore dépensés quotidiennement, faute de revenus dans un environnement atone n’ayant pas repris tel qu’attendu en Q1 2021.
Nombreuses mesures de restructuring mises en œuvre pour réduire les coûts ; permettant une réponse à court terme, mais occultant l’approche structurelle nécessaire pour rebondir et appréhender les années à venir en bonne posture.
Coupes budgétaires dans les outils de production et hors-production dans une logique de préservation du cash et de maintien des liquidités sur moyen terme.
Si l’on grossit le trait, quasiment aucune structure de l’industrie ne correspond aux conditions macro-économiques, ni à la taille réelle du marché tel que nous l’observons en Q2 2021. Encore trop « lourdes » par rapport aux justes volumes à produire pour répondre à la demande réelle, un doute raisonnable reste permis quant à la capacité du secteur à supporter les impacts de la crise à long terme. Ces mesures auront-elles été suffisantes pour appréhender un monde en pleine mutation et qui ne sortira pas indemne de la crise ?
A la différence d’autres industries, l’aéronautique a cela de singulier qu’elle joue avec des mouvements de marché à long terme, tout en ayant la capacité à s’ajuster dans l’instantanéité des événements. Les orientations stratégiques de l’aéronautique mondiale demandent une projection de ce que sera le marché dans 15-20 ans, pas sur ce qu’il sera en 2022 ou 2024. C’est tout le paradoxe du moment, concevoir des solutions de sortie de crise dans un horizon ultra court (semaines/mois), tout en repensant les organisations, outils, modèles et cycles d’investissement à long terme.
Comment relancer la machine et trouver de nouvelles sources de revenus ?
Comment gérer des distorsions asymétriques ?
Comment asseoir son empreinte dans un environnement de plus en plus concurrentiel ?
Comment rester en posture forte pour être acteur de la consolidation du paysage aéronautique mondial ?
Même si la conjoncture actuelle ne restera qu’un phénomène ponctuel à l’échelle des cycles économiques, lié en très grande partie aux mesures de confinement des populations et à la fermeture administrative des territoires, la seule logique consistant à se séparer d’un « embonpoint superflu » ne permettra pas de répondre aux profonds enjeux de transformation à long terme d’un secteur vital à l’économie mondiale.
Est venu, je pense, le temps d’engager la seconde phase de la sortie de crise pour qu’avionneurs et transporteurs puissent se réinventer et repenser leurs propositions de valeur :
Refonte structurelle et/ou fusion des organisations et organes de productions,
Aborder la transition verte par l’innovation et non l’interdiction,
Oser aller chercher de nouvelles « catchment area » au-delà des frontières traditionnelles du secteur,
Penser « à rebours » pour saisir de nouveaux vecteurs de développement,
Positionner la Data et le Produit au cœur de la stratégie,
Articuler les développements autours de partenariats stratégiques et synergies opérationnelles nouvelles.
La seule activité transport, principal moteur de la croissance et vitrine du secteur depuis trente ans, ne peut se suffire pour soutenir de façon pérenne le développement de l’aéronautique mondiale. L’incertitude ambiante depuis un an a totalement dérèglé des acteurs opérant selon des cycles inertiels reconduits d’année en année et doit inciter le secteur à développer des chaînes de valeurs plus intégrées et robustes. La relation intime et durable entre avionneurs et transporteurs, fondée sur l’outil d’exploitation qu’est l’avion, doit rester le cœur de l’écosystème aéronautique. Ce maillon fort doit permettre l’encaissement des conditions de marché de manière immédiate et sans réel pare-feu, tout en absorbant les chocs sur l’ensemble de la chaine de valeur. Planifier de manière lucide investissements et modèles opérationnels, sans être distraits par les émotions du moment sera clé pour relancer une industrie de pointe et développer des gains de compétitivité dans un ciel toujours plus concurrentiel où moins de compagnie, mais unitairement plus forte qu’avant la crise, se battront sur chaque miette d’un gâteur très convoité.
Olivier Joffet, Expert Sectoriel A&D – PwC France et Maghreb