Par Pascal Fabre, Managing Director, AlixPartners
Les loueurs d’avions ont été parmi les principaux bénéficiaires du boom du transport aérien des trois dernières décennies, devenant une force puissante et un maillon essentiel de la chaîne de valeur de l’aviation, capturant 30% des profits. En 2019, les loueurs ont constitué 50% des livraisons d’Airbus et de Boeing par le biais de contrats directs ou de transactions de cession-bail, jouant un rôle clef de financeur et d’intermédiaire entre les constructeurs aéronautiques et les compagnies aériennes.
Cette position d’intermédiaire fait qu’ils ont été moins impactés que les compagnies aériennes en 2020, soumises, elles, à l’impact direct du trafic – en baisse de 66% en 2020 par rapport à 2019. Cependant l’impact cumulé des suspensions de paiement des compagnies aériennes en difficulté ou des négociations tarifaires, ainsi que des premières vagues de dépréciations d’actifs a commencé à mettre les loueurs, leur cash-flow et leur bilan sous pression. Le rachat annoncé d’un leader du secteur GECAS par un autre leader AerCap, est la plus visible mais pas la dernière des conséquences de la crise pour ce segment de marché.
Les perspectives de reprise limitée du trafic aérien au cours des prochains mois signifient que les compagnies aériennes brûleront encore entre 75 et 95 milliards de dollars de cash en 2021. Ces dernières mettent toutes en œuvre d’importantes stratégies de réduction de leur flotte. Pour générer les liquidités dont elles ont tant besoin, les compagnies aériennes vont continuer à recourir à des accords de cession-bail avec des loueurs pour les avions les plus demandés, tels que ceux de la famille A320neo.
Mais l’augmentation du nombre d’avions stockés, retirés du service et non loués va augmenter la pression sur certains loueurs. D’autant que les procédures administratives en cas de faillite ou d’insolvabilité – telles que le « Chapter 11 » aux Etats-Unis – donnent aux compagnies aériennes un levier important pour rompre les baux et renégocier les termes du contrat, allant jusqu’à mettre en place des contrats à l’heure de vol, plus habituels pour la maintenance que pour le leasing. De fait, les compagnies aériennes bien gérées tireront activement parti de l’environnement actuel pour verrouiller des prix de location plus bas afin d’améliorer leur propre structure de coûts.
Une des grandes incertitudes est la vitesse et la profondeur avec laquelle les actifs seront dévalués, ainsi que les impacts collatéraux sur les bilans. Les long-courriers âgés, quadrimoteurs et sans reconversion possible en avion-cargo – un des seuls segments résilients du marché – sont sortis des flottes et sont les plus impactés. A l’opposé, les moyen-courriers les plus récents – A320neo en tête – sont les moins impactés
La relation entre les avionneurs et les loueurs devrait également se compliquer en raison de l’offre excédentaire d’avions, de la concurrence accrue sur les prix ,et de la création du méga-loueur que sera le futur Aercap-GECAS. Dans le même temps, les loueurs vont s’efforcer de placer leurs actifs disponibles sur le marché. Cela conduira probablement à une pression sur les prix des avions neufs, accentuée par l’afflux sur le marché des plus de 400 737 MAX déjà fabriqués par Boeing et dont une partie doit retrouver un client. Toute la chaîne d’approvisionnement en souffrira, avec un impact important sur le marché de la location et de la revente d’avions moyen et long-courriers tels que les 737NG et les A320Ceos.
Les loueurs les plus à risque sont ceux qui ont des portefeuilles de clients peu profitables avant crise, surexposées au trafic long-courrier ou les opérateurs fortement endettés et/ou non soutenues par leurs gouvernements respectifs. Côté flottes, la part d’appareils régionaux – où les compagnies sont souvent plus petites et plus faibles – d’appareils long-courriers – actifs moins liquides avec des configurations cabines complexes et customisées – sont des facteurs de risque.
Les plus robustes des loueurs – au bilan et actionnaires solides ou acteurs côtés ayant accès aux marchés de capitaux internationaux – seront à même de répondre aux besoins de financement des compagnies en étant plus sélectifs et sortiront plus forts de cette crise et avec une part de marché accrue. Mais les plus endettés, avec une stratégie moins diversifiée risquent de souffrir et la consolidation est déjà à l’œuvre.
Pour consulter la note complète d’AlixPartners : https://www.alixpartners.com/insights-impact/insights/ad-minute-covid-19-s-impact-on-aircraft-lessors-are-the-dominoes-starting-to-fall/