En dépit de la volonté politique affichée au plus haut niveau de part et d’autre et des efforts considérables investis par les deux pays dans les négociations depuis un an, la réunion du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité (CFADS) qui s’est tenue le 5 février n’a pas permis d’aboutir à l’accord espéré s’agissant des deux projets industriels majeurs SCAF et MGCS. Il est trop tôt pour parler d’échec, puisqu’il a été demandé aux deux ministres de la Défense de poursuivre les discussions avec l’objectif d’aboutir sous 15 jours à un compromis. On peut néanmoins tenter de décrypter les raisons qui ont empêché de converger comme prévu et de comprendre comment les surmonter. Ce qui frappe, c’est la logique de confrontation pugnace qui a animé les discussions entre deux administrations qui, covid aidant, se sont énormément parlé mais très peu rencontrées ces derniers mois. S’agissant du SCAF, la mise en place d’une équipe de programme co-localisée à Paris, encore légère, n’a pas suffi à faire émerger le rapprochement souhaité. En réalité, et les commentaires de presse des deux côtés du Rhin qui ont suivi la réunion du CFADS le confirment, chaque camp semble s’être trouvé enfermé dans une triple incapacité :
1) Incapacité à se mettre à la place du partenaire : dès lors que l’injonction politique était de parvenir à un accord, il était essentiel, comme dans toute négociation internationale, de comprendre qu’elles étaient les attentes et les contraintes de ce partenaire. Il était également important de bien mesurer le contexte politique, voire psychologique, dans lequel il évolue. Les procès à répétition à l’encontre de la partie allemande accusée d’avoir besoin de l’accord de son parlement pour avancer relève du déni de réalité. Il en va de même lorsque certains, à Berlin sur le MGCS et à Paris sur le SCAF, décrètent détenir une supériorité technologique qui justifie leur leadership et ne peut être transférée : l’objectif n’est-il pas de mettre en commun les compétences acquises de part et d’autre et d’investir ensemble dans les technologies d’avenir ? Qu’a-t-on par ailleurs pensé à Berlin, à une semaine de la réunion du 5 février, des déclarations françaises se félicitant qu’en achetant des Rafale, la Grèce se soit doté d’un avion « européen » et proclamant qu’il s’agissait d’une avancée pour l’Europe de la défense ? Certains se souviennent sans doute de Charles Hernu qui, deux ans avant que le programme Eurofighter ne soit lancé sans la France en 1985, déclarait : « Les études ont montré que la France possédait les cerveaux nécessaires pour construire un tel programme. J’ai proposé aux nations européennes de s’associer à cet effort parce que cela coûterait moins cher à la France. »…
2) Incapacité à maîtriser le lobbying industriel : il n’est pas fait mystère que le principal point d’achoppement des discussions porte sur le partage des responsabilités industrielles. Il s’agit, pour les entreprises concernées, d’enjeux évidemment importants puisqu’il en va de leur place et donc du profit qu’elles tireront de leur participation à ces projets. Il n’en reste pas moins que la taille des programmes en question permettra à chacun d’y trouver sa place et que les industriels sont au service de la politique de défense et non l’inverse. Difficile par conséquent de ne pas être étonné de voir comment des négociations – que leur technicité rend à dessein inextricables ? – remontent au plus haut niveau politique, chaque administration restant arc-boutée sur des positions qui lui sont en réalité largement dictées par l’industrie, à Paris comme à Berlin. Il y a 3 ans, anticipant ces difficultés pour le SCAF, nous écrivions déjà ici* que « seule sans doute la création d’un Airbus des avions de combat serait capable de porter avec succès un projet de cette dimension en unifiant son pilotage, en mutualisant les compétences et en rationalisant le partage des tâches ! ».
3) Incapacité à prioriser l’objectif stratégique de long terme : c’est là sans doute le plus préoccupant. La bataille rangée à laquelle se livrent administrations et entreprises fait en définitive perdre de vue l’intérêt commun de préserver en Europe une capacité à mettre en œuvre une force de combat aérien de nouvelle génération à l’horizon 2040. Attitude paradoxale d’entreprises, françaises comme allemandes, qui, centrées sur des objectifs immédiats de rentabilité et de conquêtes de contrats domestiques et à l’export, refusent de faire des concessions et mettent en danger des projets dont dépend leur avenir. Refus d’admettre qu’un programme en coopération obéisse à une gouvernance moins performante qu’en national, alors même que le partage des coûts de développement et l’allongement des séries peuvent compenser largement les surcoûts d’un pilotage multinational. Posture tacticienne enfin de ceux qui spéculent sur la pression politique venue d’en-haut pour faire céder la partie d’en face…
Mais c’est sans doute à Paris que cette myopie surprend le plus. Car, s’agissant du SCAF, les partenaires allemand et espagnol pourraient très vite regagner leur zone de confort en proposant au Royaume-Uni de reconstituer le club Eurofighter autour du projet Tempest, laissant la France isolée comme en 1985. À l’époque, elle en avait peut-être les moyens, et elle n’avait pas l’ambition d’une défense européenne…
*AeroDefenseNews n°200 du 22 mars 2018
Entre les débuts du SCAF et aujourd’hui le monde à changé. Biden a remplacé Trump , alors que ce dernier à annulé le TAFTA tant chéri par les allemands puis qu’il s’est montré vindicatif envers les pays ne versant pas les dîmes au servage par l’OTAN. La france y a vu l’occasion d’avancer un peu plus ce projet de souveraineté militaire européenne via le SCAF, les allemands ont accepté mais Trump maintenant éjecté comme un mal-propre les allemands via la ministre AKKA ont très vite retourné leur veste. Il ne font que demander l’impossible pour ne pas avoir à prendre la responsabilité de cet avortement.