France-Allemagne : l’entente impossible dans la défense ?

La France et l’Allemagne ont poussé leur coopération dans le domaine de la défense à un niveau assez élevé au sein de l’Union européenne depuis les années 1950 avec quelques programmes emblématiques tels que l’avion de transport militaire Transall, dans les missiles antichar (HOT) et antiaérien (Roland) ou encore l’hélicoptère de combat Tigre développé et produit au sein d’Eurocopter, aujourd’hui Airbus Helicopters. On l’oublie trop souvent, surtout les adversaires de la coopération franco-allemande, mais les deux pays ont fusionné leur industrie nationale d’hélicoptères civils et militaires qui est aujourd’hui l’un des principaux producteurs mondiaux. Peut-être ces coopérations ont-elles été possibles parce qu’à cette époque l’Allemagne était « faible » ?

Et plus les années ont passé, plus cette coopération franco-allemande a été est malmenée avec des programmes difficiles comme l’A400M (surcoûts et retards), l’hélicoptère Tigre, qui a été l’objet de divergences entre les états-majors allemand et français avec comme conséquences des retards et l’absence de succès sur les marchés exports. Si la coopération franco-allemande fonctionne dans le domaine des avions civils (création d’Airbus dans la douleur), des hélicoptères et des missiles, en revanche, les chantiers navals allemands et français sont en concurrence frontale à l’exportation. Quant aux véhicules terrestres (chars) les relations sont tendues. Malgré les querelles et les divergences, parfois profondes entre les deux pays, la coopération franco-allemande en matière d’armement est considérée comme « la plus étroite coopération bilatérale en Europe », même si celle-ci n’est pas exempte de tensions et de divergences profondes qui pourraient remettre en cause la bonne conduite des programmes, estime Detlef Puhl, dans une récente note de l’IFRI : «La coopération en matière d’armement entre la France et l’Allemagne une entente impossible».

Pourtant, malgré ce tableau contrasté, les deux pays se sont récemment lancés dans une double coopération très ambitieuse portant sur un système de combat aérien (SCAF) et un système de combat terrestre (MGCS). Une approche qui peut sembler schizophrénique, voire masochiste, à certains ! Pourquoi, en effet, s’embarquer dans des coopérations si ambitieuses avec les Allemands, et inversement avec les Français, alors qu’au départ, personne n’est d’accord, à part la Chancelière allemande et le Président français ? Et que des deux côtés du Rhin les arguments ne manquent pas pour expliquer que le SCAF et le MGCS, fruit de la volonté politique d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel, sont voués à l’échec après les élections de 2021 en Allemagne.

Les premières frictions avec le SCAF et le MGCS ont surgies dans l’organisation de la conduite des deux programmes : la France est dotée d’une Direction générale de l’armement (DGA) en charge justement de gérer les programmes d’armement entre les états-majors et les industriels, un guichet unique qui a démontré son efficacité-, alors qu’en Allemagne aucune structure de ce type n’existe. Conséquence, l’absence de guichet unique outre-Rhin complique et retarde la gestion et l’aboutissement des dossiers. Enfin, et c’est l’un des points cruciaux au cœur des divergences entre Paris et Berlin : la définition claire et précise de la politique d’exportation des matériels développés en coopération par les deux pays. Detlef Puhl appuie là où cela fait mal : «Tandis que la DGA considère qu’il est de son ressort de gérer la coordination, y compris d’un programme de grande envergure de type SCAF, ni les équivalents allemands au ministère de la Défense, ni ceux au ministère de l’Economie ne s’estiment compétents. Cela complique la coopération. De surcroît, cela crée l’impression  que les Allemands et les Français ne dialoguent pas d’égal à égal, ce qui nourrit la méfiance». Tout est dit. 

La maîtrise des technologies et la compétitivité des groupes industrielles ne sont pas suffisantes. «Il faut une analyse du contexte stratégique commune, des responsabilités clairement définies sur lesquelles Français et Allemands sont en accord. Les ambitions du Traité d’Aix-la-Chapelle pourront alors être réalisées et conférer une qualité nouvelles aux relations entre les deux pays», résume Detlef Puhl. Les Allemands et les Français aiment les défis, avec le SCAF et le MGCS, ils vont être servis.

Bruno Lancesseur, aerodefensenews.net

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