Alliance continentale, entente cordiale, politique nationale : les oscillations françaises.
Dans le puits et le pendule1, Paul Morand constatait que « la France n’a jamais pu choisir entre une vocation maritime et un destin continental ». Aujourd’hui encore, la France hésite entre l’alliance allemande, continentale, et l’entente cordiale. Cette alternative apparaît réductrice ; une troisième voie est possible : celle du retour de la politique des mains libres qui n’exclut rien mais ouvre de meilleures perspectives de rayonnement pour la France.
L’alliance continentale avec Berlin souffre d’un défaut majeur : elle est fondamentalement contre-nature. Sur le plan diplomatique, Berlin n’est qu’une option régionale pour Paris : sa diplomatie demeure centrée sur sa Mitteleuropa, son armée, majoritairement territoriale. Sur le plan politique, l’Allemagne demeure foncièrement anti-nucléaire (sauf ses élites pour une mission sous tutelle américaine), neutraliste (acceptant paradoxalement la tutelle de l’OTAN) et pacifiste (pour les missions de son armée). Sur le plan militaire, sa doctrine, atlantiste d’abord, européenne ensuite, lui fait embrasser des conceptions stratégiques dépassées. Son armée reste parlementaire, territoriale et inutile. Sur le plan industriel, derrière des affichages de coopération, Berlin privilégie les champions nationaux : les cas des missiles, de l’espace, des secteurs blindé (Rheinmetall versus KNDS) et du naval le disent sans appel. L’entente cordiale avec Londres, ou alliance de revers plus que complémentaire, offre à Paris un partenaire de rang égal : membre permanent du conseil de sécurité, puissance nucléaire, diplomatie mondiale, tradition d’intervention militaire.
Le Royaume-Uni et la France constituent à eux seuls les piliers de la défense de l’Europe : 60% des achats de défense, 85 % de la R&T, 40 % de l’industrie de défense ; si Londres pèse sur le plan budgétaire plus que Paris, Paris pèse plus que Londres sur le plan capacitaire. La relation a produit de belles réalisations : la force combinée d’intervention, bientôt opérationnelle, le nucléaire et les missiles de frappe dans la profondeur. Cette coopération, utile sur le plan opérationnel, a un mérite : elle respecte la souveraineté de chacun de ses partenaires sans arrogance ni hégémonie au contraire de l’alliance allemande toujours irritante. Pour autant, ces outils de souveraineté forgés en commun manquent aujourd’hui cruellement de direction politique. Ni Londres, occupé à son brexit, ni Paris, tout à Berlin, ne semblent d’humeur à fêter la décennie de succès ni à l’approfondir autrement. Le report de la revue stratégique à Londres et l’entrée en période électorale à Paris ne faciliteront pas le sursaut nécessaire. C’est pourtant une faute majeure que de laisser filer ainsi ce capital, que Londres ne trouvera jamais à Washington ni Paris à Berlin.
Enfin et surtout, la France a les moyens d’une politique mondiale, celle des mains libres : si le gaullisme a une leçon à donner encore à la France, c’est bien cet élargissement de l’horizon français rendu possible après la fortification du pré-carré, non plus par des ceintures de fer de Vauban, mais par la dissuasion. Continentale, la France a aussi une vocation mondiale ; son espace géopolitique, plus vaste que la Mitropa allemande et aussi important que le Commonwealth britannique, composé de la deuxième ZEE au monde, prolongé par ses alliances (scellées par des ventes d’armes), lui donne un accès immédiat aux axes stratégiques (de l’Atlantique au Golfe en passant par la Méditerranée) et économique (les points-clés de transit au monde : détroits d’Asie, Golfe de Guinée, canal de Mozambique). Cette stratégie nécessite un modèle d’armée indépendant, performant et complet. Seul le sous-financement en empêche aujourd’hui la réalisation. Ce n’est pas une question de moyens financiers mais d’allocation des priorités : un modèle d’armée aux retombées diplomatiques mais aussi industrielles majeures pèse politiquement moins qu’un modèle social à bout de souffle ou une transition écologique qui se traduit pourtant par un désastre environnemental majeur (les éoliennes). Beaumarchais s’accusait du mal bien français de « faire de petites chansons sur les grandes affaires, et de grandes dissertations sur les petites ». Cette incapacité française à voir les vrais enjeux et à leur allouer de vrais moyens a été le moteur de toutes les catastrophes nationales passées : 2022, année électorale majeure, sera-t-elle enfin celle où les « petites chansons » cesseront au profit «des grandes affaires » ?