A peine amorcée, la PESCO est déjà un fiasco : même le très fédéraliste Nicolas Gros-Verheyde le reconnaît désormais. La question qu’il faut donc oser se poser est donc elle-ci: pourquoi un tel taux d’échec dans les programmes poursuivis en coopération européenne ? C’est que tout simplement la méthode française de conduite des programmes qui a fait ses preuves depuis au moins trois siècles, n’est jamais respectée.
Première règle, premier oubli : le besoin exprimé. Il est curieux de constater que les pays européens ont lancé des initiatives sans forcément en avoir le besoin. Il est vrai qu’à part l’armée française, on ne voit guère les pays européens sur le terrain des opérations périlleuses : les guerres inutiles d’Irak et d’Afghanistan ont provoqué une telle « war fatigue » que les systèmes politico-militaires, hors France, ne pensent plus : le vide de leurs livres blancs est sidérant, leurs armées, comme celles d’Amérique du Sud, paradent et s’entraînent, mais la machine tourne à vide. Comment définir des besoins sans envie et des envies sans besoin ? Les projets sont nés par la force du poignet bureaucratique : 47 au départ, devenus 46 par l’abandon du projet n°5 par son leader allemand, en raison d’une duplication évidente avec l’OTAN. La dispersion des projets n’est pas le signe d’une prise de conscience du vide capacitaire européen, mais d’un zèle brouillon vite retombé. L’anglicisme « idéation » a même été réutilisé pour désigner les limbes dans lesquels se noient désormais les deux-tiers des projets.
Deuxième règle, deuxième oubli : la conduite du programme. Outre qu’un certain nombre de pays n’ont jamais conduit de programmes d’équipement mais se sont contentés d’acheter sur étagères, les participants n’ont jamais édicté de principes contrairement à la DGA (IM 100 et 1618) ; M. Gros-Verheyde parle d’or quand il écrit : « Pour permettre la tenue des engagements, il faudra établir des critères mesurables, réalistes, échelonnés dans le temps, et précis. (…) Comme en matière économique. C’est le seul moyen de vérifier que des progrès sont réalisés». Mais que ne cite-t-il pas la DGA française qui fait exactement cela depuis 1961 avec succès même si sa férule bureaucratique énerve régulièrement états-majors et industriels ? Chaque année, dans le budget de défense, une sous-section spécialisée du programme 146 prévoit le budget de maîtrise d’ouvrage de la DGA : où est-il dans la PESCO ?
Troisième règle, troisième oubli : les maîtres d’œuvre. A la doctrine qui fixe missions et capacités, à la maîtrise d’ouvrage, qui est la garante de la tenue du cahier des charges (coûts-délais-performances), manque la maîtrise d’œuvre industrielle. Plus efficace quand elle est privée sans interférence étatique ni conflits d’intérêts, elle est alimentée par des études amont, des démonstrateurs et des programmes pluriannuels qui garantissent à ses bureaux d’études et son outil de production la charge nécessaire. Seul ce système, couplé avec le soutien à l’exportation, garantit à un Etat de disposer de maîtres d’œuvre compétents. Ils sont bien peu en Europe à avoir l’excellence française en la matière.
Quelles conclusions tirer de cette PESCO-fiasco ? Premièrement, les Américains ont raison : ils avaient bien analysé que de l’Europe de la défense ne sortirait rien d’opérationnel mais juste des velléités bien vite étouffées quand ils montrent les dents : il leur a suffi de crier découplage, discrimination et duplication pour tuer dans l’œuf des décisions qu’au fond aucun pays ne voulait vraiment suivre. L’OTAN demeure l’alpha et l’oméga de la défense européenne.
Deuxièmement, la meilleure façon de rendre efficace la défense collective des pays européens est encore le financement (intégralement respecté…) des modèles d’armées nationaux. La France ne servira jamais autant la défense de son continent qu’en finançant totalement son effort de défense nationale. Les capacités que celui-ci génère ne sont plus à démontrer : le modèle d’armée français est le seul en Europe qui soit complet, performant et autonome. Les lacunes qu’il possède encore, ne sont dues qu’aux régulations sauvages politiques qui n’ont rien à envier à celles mises en œuvre de 1936 à 1939.
Troisièmement, seules les coopérations bilatérales bien cadrées sont efficaces : les programmes en coopération franco-allemands des années 60/70, franco-britanniques des années 90/2000 ont été des succès opérationnels et industriels, souvent d’ailleurs dans les missiles alors que les plateformes ont souvent été des échecs cuisants. L’élargissement à d’autres partenaires étatiques et industriels (illusion européenne du multilatéral incompétent au détriment du bilatéral efficient) est la tare majeure et congénitale de tout projet européen.
Est-ce vraiment « un succès, comme disait Churchill, d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme » ?…