Après la rupture des discussions avec Boeing, quelle est l’issue pour Embraer ?
Si Embraer a besoin d’un partenaire et s’ils veulent créer une structure industrielle il n’y a pas beaucoup de choix sur la planète; je ne vois pas Airbus ou Dassault Aviation se rapprocher de l’avionneur brésilien dans l’état actuel des choses. Un systémier pourrait être également intéressé mais c’est peut-être SAAB, en revanche qui serait finalement un partenaire assez logique pour Embraer. Les deux sociétés ont des valeurs quasiment équivalentes ($3-4 milliards) et ont des complémentarités capacitaires qui s’intégreraient très bien sur le papier. Ils ont déjà travaillé ensemble dans le cadre de contrats militaires comme le Gripen ou d’avions de surveillance maritime… Ils sont donc assez synergiques sur le papier dans les verticaux défense et commercial d’autant que SAAB a l’expérience des avions régionaux avec le SAAB 2000. Cette alliance, très théorique je le conçois, représente cependant des perspectives de croissance limitées par rapport a un partenariat avec AVIC. Ensemble, ils ne représentent pas une menace pour les poids lourds du secteur dans le civil comme dans le militaire. Un nouveau programme de turbopropulseur hybride pourrait les rapprocher d’autant plus que ATR et DHC (de Havilland Aircraft compagny désormais dans le giron de Longview Aviation Capital, ndlr) sont en paralysie stratégique et que le projet E3 d’Embraer n’est pas complètement destiné à concurrencer les turboprops traditionnels. SAAB serait donc un partenaire potentiel pour Embraer. Je ne vois que très peu d’alternative, un hypothétique rapprochement avec Mitsubishi ne revêt aucun sens actuellement, à la fois pour des questions d’antitrust et de culture d’entreprise. Il est bon de ne pas trop se fixer sur le court terme, le marché ira de l’avant et je pense qu’il y aura de la place pour le SpaceJet, le E-Jet et l’A220 au cours des vingt prochaines années ; il ne faut surtout pas perdre de vue les cycles fondamentaux du marché malgré la gravité de la crise que nous connaissons actuellement.
Embraer se retrouve-t-il dans un corner avec ses E-Jets ?
Ils sont bloqués. D’autant que COVID-19 ou pas, Boeing et Airbus ne vont rester les bras croisés. D’ici trois quatre ans, Embraer va se retrouver avec les deux avionneurs qui seront plus offensifs que jamais. Nous ne sommes pas dans une industrie de court terme et les prochaines années se préparent aujourd’hui même si la situation est très difficile pour l’aéronautique mondiale. Pour ma part, je recommanderai à Embraer de maintenir le cap et de relancer son projet de turbopropulseur hybride et de rester dans leur zone « confort » avec les E-Jets pour éviter toute confrontation commerciale avec les deux grands avionneurs. Embraer a un projet de turbopropulseur hybride baptisé E-3, qui a été évoqué lors du denier salon du Bourget, de 90-95 places et ce serait pertinent de le lancer compte tenu des ressources existantes chez Embraer et de l’intérêt du marché pour un tel appareil. Ce serait pour le Brésilien la meilleure des solutions plutôt que de se lancer dans un nouveau monocouloir rivalisant avec Airbus et Boeing. Développer un nouveau monocouloir demandera des fonds très importants et cela risquera de fragiliser un peu plus Embraer. De toute façon, s’ils se lancent dans cette voie je ne les imagine pas le faire seuls.
Avec les Chinois ?
L’issue serait de signer un accord avec AVIC qui ouvrirait immédiatement le marché chinois à Embraer et apporterait les fonds nécessaires à ce programme. Les Chinois ont certes intérêt à le faire d’autant qu’ils cherchent à déstabiliser l’influence américaine partout où cela est possible et le plus proche possible des Etats-Unis. Ce n’est pas un secret, Pékin veut créer le même environnement de dette commerciale en Amérique du Sud comme ils l’ont fait en Afrique. C’est tout à fait dans leur intérêt et je comprends parfaitement leur stratégie. Toutefois, toute tentative prononcée de la Chine de s’ingérer dans les affaires sud-américaines et particulièrement brésiliennes, sera vraiment enrayée de manière violente de la part des Etats-Unis et je n’exagère pas. L’administration américaine n’acceptera jamais une implantation industrielle aéronautique chinoise en Amérique du Sud.
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