ATR va baisser sa production de 50% cette année et en 2021

En 2019, ATR a livré 68 avions neufs contre 76 en 2018 et a enregistré des commandes nettes de 48 nouveaux appareils contre 46 en 2018, y compris les commandes de Nordic Aviation Capital (NAC), selon les indications données par le groupe italien Leonardo dans son rapport d’activité 2019. Au 31 décembre 2019, ATR avait un carnet de commandes de 185 avions (ATR-42 et ATR-72 confondus) contre 205 en 2018 et fin 2019, l’avionneur ATR avait livré 1 580 avions. Des résultats certes en baisse mais qui s’expliquent probablement par la baisse des cours du pétrole observée dès l’an dernier ne favorisant pas les achats d’avions turbopropulseurs.

De manière générale, les compagnies régionales exploitent des jets tant que le pétrole est bon marché. Cela c’était pour 2019 car l’exercice en cours et même 2021 s’annoncent bien plus difficile pour le constructeur franco-italien (Leonardo et Airbus) à cause de la crise du Covid-19.  Dans un message vidéo envoyé au personnel le 20 avril dernier, Stefano Bortoli, Chief Executive Officer d’ATR, a tenu un langage de vérité en annonçant que si les primes et intéressements 2019 seraient versés comme convenu cette année en revanche «les augmentations de salaires et les promotions étaient gelées pour 2020 », et surtout que « la production serait réduite de 50% » cette année et l’an prochain en accord avec les deux actionnaires.

Sans surprise, comme les autres avionneurs, ATR s’attend à traverser une période difficile d’autant que les services (support & training) connaissent un net ralentissement depuis mars. Une situation difficile qui n’empêche pas ATR de se focaliser sur quelques rendez-vous clé comme la livraison des deux premiers ATR-72-600 cargo destinés à FedEx. Une déclinaison des ATR qui pourrait intéresser d’autres opérateurs de fret dans le monde et notamment en Asie-Pacifique, une région clé pour les turbopropulseurs à l’exception de la Chine où il n’y a aucun turbopro­pulseur en exploitation. Toutefois cela pourrait changer si le gouvernement chinois confirme sa volonté de développer le marché aérien régional jusqu’à maintenant exploité par des mono-couloirs Airbus et Boeing. L’objectif est de désengorger les hubs chinois. L’optimisme demeure donc pour ATRson CEO estimant que « le trafic aérien régional devrait reprendre plus vite que les vols internationaux ».

Analyse. La rupture de l’accord Boeing – Embraer est un répit pour ATR

Aussi incongru que cela puisse paraître, la crise du Covid-19 pourrait donner un peu d’air et faire retomber la pression sur le marché des turbopropulseurs permettant ainsi au GIE ATR (Leonardo et Airbus Group) de consolider sa position de leader. En effet, dans le « monde d’avant », Embraer ne cachait presque plus ses intentions de revenir sur ce segment et de concurrencer le constructeur européen. A Sao José dos Campos, les équipes d’ingénierie travaillaient déjà depuis plusieurs années sur le développement d’un nouveau turbopropulseur de 70 à 90 sièges mais Embraer attendait son heure, déjà trop occupé avec les E-Jets, puis le lancement des E2, pour ouvrir un nouveau front. Presque grisés par l’envolée des prix du pétrole _  peu favorable aux jets régionaux _, et les rentrées financières qui allaient suivre le rachat de la gamme E-Jets par Boeing, les dirigeants d’Embraer commençaient à dévoiler un plan. Le constructeur se positionnait comme un dangereux rival pour ATR. D’autant que les compagnies aériennes régionales ne manquaient pas de presser le brésilien de venir casser un quasi-monopole de fait d’ATR sur le segment des turbopropulseurs. Le PDG d’Embraer, John Slattery, confiait même à Reuters début janvier qu’un turboprop « se situe parfaitement dans notre marché cible et aura une continuité naturelle avec la famille E2 ».

Embraer aurait eu l’avantage sur son concurrent de rejouer le coup de force qu’il avait déjà réussi contre Bombardier avec ses E-Jets,  en offrant une plateforme complètement nouvelle bénéficiant d’avancées technologiques. Les feuilles de route des équipementiers et motoristes, tels que Safran, Rolls-Royce ou encore l’ex groupe UTC, devenu Raytheon, montraient toutes une orientation vers l’avion plus électrique. Cela aurait permis à Embraer de proposer un nouvel avion avec un système de propulsion hybride électrique lui donnant ainsi un avantage économique et écologique déterminant pour les compagnies aériennes. Mais voilà, c’était avant que le Covid-19 ne rebatte les cartes de l’industrie aéronautique et que Boeing décide de faire marche arrière. Le tropisme américain d’Embraer ne lui a pas souri. Lâché par son voisin nord-américain, Embraer se voit privé d’une manne financière qui aurait pu être réinvestie dans ce projet stratégique et va devoir continuer à investir lourdement pour soutenir la gamme E-Jets et se battre seul contre l’A220 d’Airbus, sans le soutien de Boeing.  Cependant, comme le disait Churchill, « never waste a good crisis » ! Si les projets d’Embraer peuvent se trouver contrariés dans l’immédiat, ATR va aussi devoir convaincre ses actionnaires, également fragilisés, d’investir surtout à un moment où le transport régional risque d’être un des premiers segments à redécoller.

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Bruno Lancesseur est rédacteur en chef la lettre AeroDefenseNews.net Pour nous contacter envoyez votre adresse mail à aerodefensenews@gmail.com
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