Les spéculations commencent, les paris sont ouverts. Un retour en vol du 737MAX semble désormais difficilement envisageable avant le premier semestre 2020. Une mauvaise nouvelle pour les compagnies aériennes, les fournisseurs de rang 1 & 2 et pour l’avionneur si ce scénario était confirmé. La découverte fin juin par la FAA lors de tests en simulateur d’une nouvelle faille dans le système de contrôle de vol -sur un microprocesseur-, devrait repousser de quelques semaines, voire de quelques mois supplémentaires le retour en vol de la flotte. « Le scénario initial de Boeing était un retour en vol du 737 MAX à l’été ; désormais plus personne n’y croit. Le calendrier le plus probable est un retour en service commercial au premier semestre 2020 », résume Marc Durance, associé chez Archery Strategy Consulting et auteur d’une étude sur le sujet.
Les mesures correctives annoncées en mai dernier par Boeing sur le logiciel MCAS, à l’origine des deux accidents de Lion Air et Ethiopian, ne semblent pas suffire à convaincre les autorités de régulations aux Etats-Unis (FAA), en Europe (AESA) et en Chine (CAAC) ainsi que les pilotes, notamment américains qui sont désormais très remontés envers Boeing. Une plainte, début d’une action de groupe, a d’ailleurs été déposée aux Etats-Unis contre l’avionneur. Les pilotes demandent une formation plus adaptée au 737MAX comme le passage obligé par quelques heures de vol en simulateur. Une solution que l’avionneur américain avait écartée l’estimant superflue au profit d’une formation sur tablette pour passer du 737NG au 737MAX. Problème, il n’y aurait que 7 simulateurs de vol de 737MAX actuellement dans le monde notamment chez Air Canada (1), chez Icelandair (1), chez Boeing (1) et à Singapour…C’est largement insuffisant pour former les équipages et cela entrainera des coûts supplémentaires pour les compagnies aériennes et des délais. «Il faudrait compter douze semaines pour former les 4.000 pilotes nécessaires aux 380 MAX déjà livrés à raison de 10 pilotes par avion », indique-t-on chez Archery.
Pour Boeing, la facture de cet incident industriel risque de s’alourdir de mois en mois : jusqu’à à une dizaine de milliards de dollars, selon Archery Strategy Consulting qui détaille ce montant dans son étude: dommages et intérêts pour immobilisation ($800 millions par mois), pénalités pour retard de livraisons (de $400 millions à 1 $milliard), mise à jour du MCAS (estimation inconnue), dédommagements des victimes (plus de $400 millions sur la base de celui des victimes du Concorde), formation des pilotes ($100 millions), annulation de commandes et efforts commerciaux (plusieurs milliards de dollars). A ce sujet la commande (LoI) annoncée lors du salon du Bourget par le groupe IAG aurait été signée avec une ristourne de près de 75% sur un prix de vente catalogue d’une centaine de millions de dollars, nous affirme un familier de l’industrie aéronautique américaine.
Même si Boeing est une entreprise riche et diversifiée avec des activités civiles et militaires et un chiffre d’affaires de plus de $100 milliards, l’arrêt momentané du programme 737MAX (30% de ce chiffre) va peser sur les comptes 2019.
L’un des enjeux aujourd’hui pour Boeing est de maintenir autant que possible els cadences de production du 737MAX qui sont passées de 52 par mois à 42 en avril dernier. Un chiffre qui pourrait tomber à une « petite trentaine » en septembre. Et l’avionneur de Seattle veut aussi éviter d’avoir recours au chômage technique de crainte de voir partir une main d’oeuvre de qualité. En effet, contrairement à la situation dans les années 2000 et avant où l’on entrait chez Boeing pour la vie, l’emploi s’est tendu dans l’état de Washington avec le boom des sociétés Internet qui aspirent bon nombre de techniciens et d’ingénieurs. D’où la nécessité de gérer avec doigté les ressources humaines à Renton où est produit le 737.
Enfin, s’ils sont discrets, les fournisseurs de rang 1 & 2 -Collins Aerospace (cockpit), Spirit (Aérostructures), CFM (Safran et GE)-, sont en première ligne. Archery Strategy Consulting estime l’impact pour les sous-traitants en 2019 compris entre 15 et 25% de leur chiffre d’affaires lié au Boeing 737 MAX. Spirit Aerosystems a réduit de 20% sa production depuis juin 2019. Une chose est sûre, les explications données lors de la présentation de semestriels le 24 juillet prochain seront riches d’enseignements pour l’avenir du 737MAX.
737MAX : les compagnies aériennes commencent à faire leurs comptes
Une facture en centaines de millions de dollars à venir. American Airlines (AA) a déjà calculé que l’interdiction de vol de ses 737 MAX depuis mi-mars après deux accidents lui coûterait $185 millions dans ses comptes du deuxième trimestre. La facture s’élève désormais à $265 millions, dont 80 millions au premier trimestre, pour American qui exploitait 24 appareils 737 MAX 8. AA attendait la livraison de sept autres exemplaires en avril, mai et juin. De son côté, United Airlines va prolonger jusqu’au 3 novembre l’annulation de tous les vols programmés sur ses 14 737 MAX. En juillet, ce sont au total 1.290 vols qui vont être annulés, 1.900 en août, 2.100 en septembre et 2.900 en octobre. United est l’une des trois grandes compagnies aériennes américaines avec American Airlines et Southwest à exploiter des 737 MAX. Southwest a pour sa part annulé les vols sur MAX jusqu’à début octobre. Ni United, ni Southwest n’ont donné d’estimation chiffrée pour l’instant de ces annulations. Si certains n’hésitent pas à sortir la calculette pour afficher des additions conséquentes, il faut toutefois relativiser les montants que Boeing devra inscrire dans ses comptes. En effet, plutôt que de signer un chèque aux compagnies clientes, Boeing va sans doute multiplier les «efforts commerciaux» sur les services et les commandes à venir ; efforts commerciaux auxquels seront très certainement associés les fournisseurs du 737MAX.