Avec le Brexit, l’Allemagne va-t-elle redevenir un partenaire clé pour la France dans le domaine de la défense ?
Elle l’a toujours été, mais il y a deux dimensions à distinguer. La première est d’ordre industriel. Le Président Macron et la Chancelière Merkel ont exprimé leur volonté de progresser dans ce domaine. C’était le sens du Conseil conjoint de juillet 2017 au cours duquel il a été prévu un certain nombre de mesures pour approfondir la coopération en matière de défense et créer des synergies industrielles. Neuf mois plus tard, il est trop tôt pour tirer un bilan dans ce domaine qui par nature demande temps et constance. Cependant, de manière conjoncturelle, la situation a changé en raison des élections en Allemagne et de la constitution d’un gouvernement de grande coalition, qui est resté discret sur ses intentions réelles en la matière. Et surtout, on se rend compte – c’est la deuxième dimension -, qu’en matière opérationnelle, les frappes du week-end dernier en Syrie sont là pour le rappeler, il n’y a en réalité que deux aviations européennes capables de mener des opérations complexes dans la profondeur en liaison étroite avec les Etats-Unis : les Français et les Britanniques. Il y a une double une volonté politique : approfondir la relation avec l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et d’autres partenaires européens sur le plan industriel et maintenir un savoir-faire opérationnel pour la haute intensité à laquelle seuls les Britanniques sont actuellement préparés.
Mais le Royaume-Uni peut-il être « dehors tout en étant dedans ? »
C’est la question politique centrale. Quand on écoute les dirigeants du Royaume-Uni, il y a une volonté affichée de leur part de rester lier au Continent en matière de sécurité et de défense. Une des leçons de l’histoire est qu’il n’y a pas de sécurité européenne tenable sans implication du Royaume-Uni. La France et le Royaume-Uni sont liés par un certain nombre d’accords bilatéraux très poussés en particulier dans le domaine nucléaire, je pense notamment aux accords de Lancaster de 2010. Leur importance a été rappelée par les travaux de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017, qui affiche des ambitions élevées pour construire une autonomie stratégique européenne.
Ce qui semble prévisible, c’est la volonté conjointe de Paris et de Londres de maintenir une relation bilatérale substantielle en matière de sécurité et de défense, qui ne soit pas antinomique avec un approfondissement de la relation franco-allemande et des initiatives en matière de défense européenne. C’est évidemment compatible à partir d’un certain niveau d’ambition stratégique, mais cela implique de travailler à des montages post-Brexit permettant divers types de coopération avec Londres. Rappelons-le, la France et le Royaume-Uni sont deux puissances nucléaires, membres permanents du Conseil de sécurité et, à ce titre, partagent une même culture stratégique.
Le secteur de la défense pourrait être épargné par le Brexit ?
Il faut le souhaiter car c’est l’intérêt de l’Union européenne et du Royaume-Uni de maintenir un lien étroit dans ce domaine. Londres demeure un des piliers de l’OTAN. La question est désormais de savoir comment peut être envisagé un dispositif dans la relation entre le Royaume-Uni et l’UE au travers de coopérations étroites. Une question concerne, par exemple, l’initiative européenne d’intervention proposée par le Président Macron en septembre 2017. Pour l’instant, cette initiative a reçu un accueil poli à Berlin. Si la relation franco-allemande dans le domaine de la sécurité et de la défense a vocation à s’approfondir, elle se heurte encore à trois difficultés : le nucléaire ; les opérations extérieures exigeantes ; l’harmonisation des politiques d’exportations des systèmes d’armes. Un point sur lequel Français et Allemands devront évidemment progresser s’ils veulent parvenir à des synergies industrielles. Ces trois obstacles n’existent pas ou se présentent de manière très différente dans le cadre de la relation franco-britannique. Au sein de la communauté de défense, on ne sent pas les tensions liées aux négociations du Brexit, mais davantage une volonté de maintenir les liens de manière pragmatique au regard d’intérêts de sécurité largement partagés, de part et d’autre de la Manche.
Je pense que la communauté de défense cherchera à ce que le Brexit n’empêche pas l’arrimage du Royaume-Uni à la sécurité européenne.
Propos recueillis par Bruno Lancesseur