François Forget (*) : «On peut imaginer faire une première mission vers Mars dans les années 2030-2040. »

Pourquoi aller sur Mars plutôt que de retourner sur la Lune et pour quels résultats ? 

En étudiant les planètes on fait beaucoup de recherche fondamentale sur nos origines, sur comment  fonctionne l’univers, etc. Dans le cas particulier de Mars, cette planète est celle  qui ressemble le plus à la Terre dans tout le système solaire. Il y a en effet beaucoup de similarités avec notre planète en termes de géophysique et de systèmes climatiques, contrairement à Vénus ou Jupiter qui sont des  mondes très différents. Mars est aujourd’hui une petite terre glacée, intéressante mais désertique. Nous pensons, cependant, qu’il y a environ quatre milliards d’années il y avait sur Mars des lacs et des rivières et peut-être même un océan. Bref, quelque chose qui ressemblait beaucoup à la Terre à l’époque  où précisément la vie y est apparue sous forme de bactéries. Donc, il est très précieux de savoir ce qui s’est passé sur Mars pour mieux comprendre ce qui est arrivé à la Terre et enquêter sur le passage du non-vivant au vivant.

Même si nous ne trouvons pas de preuve de vie sur Mars, on espère quand même y trouver des indices sur la chimie « prébiotique » avant que la vie n’arrive sur Terre. Enfin, à part la Lune, Mars est le corps céleste le plus facile d’accès depuis la Terre pour les missions robotiques et humaines. Certes, la Lune est intéressante, il est plus facile d’y aller que  sur Mars, mais comme le disait le président Obama : «On y est déjà allé . Et, si la science de la Lune n’est pas négligeable, cela n’a rien à voir avec l’étude de l’environnement martien et la recherche de la vie. Le vrai débat aujourd’hui est entre ceux qui pensent qu’il est indispensable de retourner sur la Lune pour apprendre étapes par étapes à faire une mission vers Mars et ceux qui souhaitent directement consacrer nos ressources à la préparation d’une mission martienne. Objectivement, il est difficile de trancher parce que les deux solutions ont leurs avantages et leurs inconvénients.

Comment justifier le coût de ces missions estimé à 100 ou 200 milliards de dollars ?

Contrairement à l’exploration robotique, l’exploration humaine de Mars ne se justifie pas uniquement par la science. On peut d’ailleurs dire la même chose de la Station spatiale internationale. Explorer l’espace avec des humains est une source d’inspiration et de fascination qui fait que le grand public _ dont les contribuables _, et les hommes politiques sont partisans de lancer de telles missions, bien plus chères que la plupart des expériences scientifiques. In fine, elles n’exigent pas des budgets astronomiques par tête d’habitant et les retombées en termes d’éducation et de vocation scientifique ne sont pas négligeables. C’est donc tout un ensemble de choses qui  motive l’exploration humaine et pas seulement la science pure. Une fois que nous aurons sur place des hommes une multitude de choses,  impossible à réaliser avec des robots, pourront être effectuées. Par exemple, nous voulons forer sur Mars à plusieurs kilomètres de profondeur parce que nous pensons qu’il y a encore des nappes d’eau liquide. Et s’il y a eu de la vie sur Mars, c’est là que des bactéries particulières ont pu se réfugier. Ce type d’opération semble irréalisable avec des robots.

Si on évoque les coûts, oui, ceux d’une mission martienne sont très élevés mais ceux d’une mission vers la Lune ou la fabrication de la Station spatiale internationale le sont également ! Si on prend une fraction du budget de la NASA, qui est de l’ordre de $20 milliards par an, pour investir dans l’ingénierie on peut déjà imaginer faire une première mission vers Mars dans les années 2030-2040.

Très probablement celle-ci ne sera pas complète, au sens où dans un premier temps les astronautes resteront en orbite. De là ils pourront explorer les petites lunes de Mars et commander en temps réel des robots préalablement posés sur Mars. Ensuite, on passera à la phase la plus délicate c’est-à-dire descendre sur Mars, s’y poser et en repartir pour revenir en orbite. Cette aventure est possible d’ici trente ans à condition que l’on ne fasse pas d’abord un « village » sur la Lune car ce type de projet consommerait vingt ans de budget de la NASA.

Soit ! Alors comment va-t-on sur Mars?

Les missions typiques pour aller sur Mars exigent un vaisseau spatial capable de transporter de quatre à six astronautes pour un voyage aller d’une durée de six mois. Ce vaisseau spatial doit être construit avec une nouvelle fusée qui, selon moi, doit être plus puissante que le Falcon Heavy d’Elon Musk. Dans ce contexte, la NASA prépare un nouveau lanceur géant baptisé « Space Launch System » (SLS) et Space X la « Big Falcon Rocket » (BFR). Même ainsi il faudra plusieurs lancements. Il y a plusieurs solutions sur la table : le lancement d’un vaisseau complet avec des réservoirs vides qui seraient remplis en orbite, ou alors l’assemblage d’éléments d’un vaisseau en orbite qui partirait à son tour vers Mars… Ce n’est pas tout, il faut également prévoir un ou plusieurs  lancements avec des cargos chargés de matériel et de ravitaillement pour vivre à la surface de Mars (habitat, etc.). Ainsi que la fusée qui  repartira de Mars vers la Terre ou vers un vaisseau intermédiaire. Celle-ci pourrait fabriquer son propre carburant de type oxygène/méthane sur place. C’est difficile, certainement très coûteux, mais passionnant !

(*) Directeur de recherche CNRS-Laboratoire de Météorologie Dynamique, Institut Pierre Simon Laplace Université Paris 6- auteur de La planète Mars, histoire d’un autre monde (Belin, 2006).

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Bruno Lancesseur est rédacteur en chef la lettre AeroDefenseNews.net Pour nous contacter envoyez votre adresse mail à aerodefensenews@gmail.com
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