Sortir l’A380 de l’ornière et redonner des perspectives commerciales au programme. Avec la signature d’une nouvelle commande d’Emirates portant sur 36 appareils – 20 fermes et 16 options –, certains pensent que le programme A380 est sauvé. Ce n’est pas sûr. Certes, la compagnie de Dubaï, premier client de l’A380 avec désormais 178 appareils en commende dont 101 en service, offre à Airbus un répit pour encore quelques années mais cela ne résout pas le principal problème de l’avion aujourd’hui : excepté Emirates les clients ne sont pas au rendez-vous et se tournent vers des avions plus modernes comme les A350 et les Boeing 777. Quelles sont les causes du désintérêt des compagnies aériennes ? Dans les années 2000, lors de la mise en service de l’A380, la concurrence des gros-porteurs a évolué. Boeing transforme le fameux 7E7 qui deviendra le 787 avec une famille -8/-9/-10, puis l’avionneur américain annonce le lancement de la famille des 777X (-800 et -900). Tous ces avions à venir, ou en service, sont dotés de technologies très avancées (leur structure fait très largement appel aux matériaux composites) et surtout ils ont des moteurs «derniers cris», compétitifs en termes de consommation de carburant.
Airbus, pour oublier l’échec du programme A340-500/600, lance la famille A350, un avion qui lui aussi comme son concurrent de chez Boeing va bénéficier des dernières technologies pour la motorisation. L’A380 se retrouve malgré lui dans un paysage concurrentiel qui n’a plus rien à voir avec celui imaginé par ses concepteurs. A Toulouse, la priorité du bureau d’études est donnée au programme A350, peut-être au détriment de l’A380 qui a son fan-club mais aussi ses détracteurs. Quant à Rolls-Royce, fournisseur exclusif de l’A350, il sera mobilisé pour développer le Trent XWB tout comme son concurrent américain GE qui est mobilisé sur le GE90 des 777-800 et 900. Rolls-Royce, l’un des deux motoristes de l’A380 avec l’américain GE/PW, a longtemps hésité à investir $1,5 milliard dans un nouveau moteur pour le gros-porteur d’Airbus avant d’abandonner.
Malgré lui, l’A380 ne va pas bénéficier d’une motorisation «dernier cri» et il sera finalement doté de moteurs (Trent 900 ou GP7200 GE/PW) assez «poussifs», selon un ingénieur, pour un avion long-courrier. Pourtant, l’A380 ne connaîtra aucune amélioration de sa motorisation depuis sa mise en service alors que son rival le 747 sera remotorisé 5 fois dans sa carrière. Même le 747-8 bénéficie de nouveaux moteurs : le GEnx. La motorisation des A380 n’est pas ce qu’elle devrait être, or, c’est la clé du succès des avions long-courriers d’où un certain désintérêt des compagnies aériennes pour cet avion.
Depuis sa mise en service, dix années se sont écoulées et aucune réelle amélioration n’a été apportée à l’A380 contrairement aux autres programmes d’Airbus et de Boeing qui ont progressé (787, 777, A330…) Le signal donné par l’avionneur européen aux clients potentiels de l’A380 est pour le moins ambigu et acheter aujourd’hui un A380 revient à acquérir un appareil des années 1990.
Un mauvais choix alors qu’arrivent sur le marché des avions dont la capacité sera proche de celle des A380 comme le 777-10 dont la capacité serait de 450 passagers. L’A380 n’est donc pas trop gros. Ce n’est pas un problème de capacité, car tous les programmes de tous les avionneurs le démontrent aujourd’hui : la tendance est à l’accroissement du nombre de sièges dans tous les avions, même en court-moyen-courrier : CS100 vers CS300 de Bombardier, Airbus A321ACF, 737MAX-10 de Boeing…
Sur le papier, l’A380 a presque tout pour réussir (capacité, confort…) mais son principal problème est peut-être une obsolescence prématurée de sa motorisation qui éloigne les compagnies aériennes plutôt séduites par les A350 et les 777… Alors, comment relancer le programme A380 ? Les pilotes l’adorent et les passagers louent le confort exceptionnel de cet avion avec lequel certaines compagnies comme Singapore Airlines ont hissé très haut les standards du transport aérien.
La clé du renouveau de l’A380 passe par une nouvelle motorisation qui permettra d’abaisser la consommation au siège de 15% pour un avion qui consomme 12 tonnes de kérosène à l’heure. Le défi est immense de même que les enjeux financiers puisque pour un vol Londres-Singapour cela représenterait une économie de près de 18 tonnes.
Emirates est un très bon client du motoriste britannique, peut-être la compagnie émiratie a-t-elle trouvé de bons arguments pour convaincre Rolls-Royce de revenir dans la motorisation des A380. Car on n’imagine pas la compagnie de Dubaï prendre livraison aux cours des dix prochaines années d’avions dont la motorisation serait obsolète par rapport aux moteurs actuels. Pourquoi ne faire référence, ici, qu’au motoriste Rolls-Royce ? Parce que les décisions stratégiques prises à Toulouse et Seattle-Chicago de remotoriser leurs A320 et 737 (programmes neo et MAX) ont dirigé les investissements des motoristes GE, Safran et Pratt & Whitney sur les moteurs PW1000G et Leap1. De quoi les décourager de se lancer aujourd’hui au secours d’un « A380+ ».
Sans nouveaux moteurs, l’A380 est condamné à rester un programme emblématique, qui aura participé à la création d’EADS, aujourd’hui Airbus Group. Enfin, la question se pose de savoir si les dirigeants d’Airbus croient encore dans ce programme. A la différence d’Emirates dont le soutien pour l’A380 est étonnement inexorable.
Encadré
Arrêter l’A380 ? Un tsunami financier pour les compagnies aériennes
En signant un accord il y a quelques jours, Airbus et Emirates ont sans doute pris conscience du véritable tsunami que l’arrêt du programme, tant de fois évoqué depuis un an ou deux, aurait inévitablement provoqué. Un tsunami financier autant pour les compagnies aériennes qui ont fait confiance, depuis 2000 à l’A380 pour constituer sur le long-terme l’emblème de leurs flottes : la valeur résiduelle qui s’effondre, les chances bien illusoires de trouver un débouché sur le marché de seconde main, l’absence de réelle alternative… que pour Airbus et les grands fournisseurs qui verraient leurs investissements humains, techniques et financiers réduits à néant. Mais, surtout, un tsunami psychologique car les compagnies clientes pourraient se sentir trahies. L’arrêt brutal de l’A380F, la version cargo pourtant commandée par deux compagnies aériennes prestigieuses, Fedex et UPS, et alors qu’Atlas Air se préparait à suivre, avait créé un choc. Ces compagnies n’avaient alors eu d’autre choix que de se tourner vers les avions Boeing… La sévère leçon a peut-être été retenue.