Les discussions entre Boeing et Embraer en vue d’une coopération dont la ou les formes restent à préciser pourraient déboucher sur une joint-venture commerciale et technique. Et peut-être même englober les aspects techniques d’un futur programme d’avion moyen-courrier. C’est la réponse, précipitée, de l’avionneur américain, à l’annonce d’Airbus de prendre 51% du programme CSeries de Bombardier dont les ventes se traînent depuis plus d’un an. Elles devraient connaître un regain d’activité avec le soutien des équipes d’Airbus.
Boeing se devait de réagir. L’avionneur de Chicago connaît bien Embraer avec lequel il participe depuis plusieurs années au marketing de l’avion de transport militaire KC-390 dont les commandes fermes, concrètes, se résument à ce jour à celle du ministère brésilien de la Défense. L’appareil a débuté en juin dernier une série de présentations auprès de différentes armées de l’air européennes, au Moyen-Orient, en Afrique et en Australie. Le KC-390 a été conçu et lancé avec le soutien de la Force aérienne brésilienne (FAB) qui en a la propriété intellectuelle. Cette précision à son importance car elle montre l’implication historique et toujours actuelle des militaires brésiliens dans Embraer bien que l’avionneur soit coté en bourse à Sao Paulo et à New York.
Embraer, les «ailes du Brésil», est un groupe emblématique faisant partie intégrante du patrimoine national au même titre que le football…C’est dire que pour Boeing, ce dossier sera extrêmement délicat à gérer et que l’avionneur américain devra faire preuve de beaucoup de diplomatie pour ne pas vexer les dirigeants politiques brésiliens, les militaires ainsi que les dirigeants d’Embraer.
La classe politique brésilienne n’abandonnera jamais « son » avionneur et l’accord en cours de discussions pourrait bien se résumer à une JV non engageante qui, comme tous les accords non engageants ne mènent pas au succès. « L’opinion publique brésilienne est continuellement sous-estimée, et j’entrevois des scénarios dans lesquels le sujet Embraer pourrait se transformer en un débat national ravivant la flamme nationaliste, politique et anti-américaine qui a parcouru le débat brésilien depuis quelques années », explique un familier de l’avionneur brésilien.
« Pour le Brésil, une ingérence américaine dans une industrie stratégique comme l’aéronautique équivaut à un réalignement commercial nord-sud allant à l’encontre de ce qui a été jusqu’alors une stratégie BRICS orientée Est Nord-Ouest (Afrique, Asie). Je suis donc perplexe, car les implications vont bien au-delà d’Embraer. Dans l’état actuel du relationnel américano-brésilien, cela va être dur à avaler même si le potentiel pour Embraer est très attrayant », ajoute-t-il.
Certes, le gouvernement brésilien n’est pas opposé à un partenariat d’Embraer avec un groupe étranger mais il exclut d’en céder tout ou partie du contrôle à Boeing. D’ores et déjà, le «deal» ne semble pas équilibré.
Encadré
Corruption chez Embraer : des affaires très gênantes pour Boeing
Les affaires de corruption. C’est le dossier très sensible chez Embraer et qui pourrait retarder, geler, voire annuler tout rapprochement entre les deux avionneurs d’autant que Boeing prône l’exemplarité dans ce domaine. On voit mal l’avionneur américain se rapprocher d’un partenaire qui ferait la « une » du Wall Street Journal. Embraer, qui a opéré une opération «mains propres» en 2011 pour s’implanter sur le marché américain est l’objet d’enquêtes pour corruptions dans des dossiers de ventes d’avions commerciaux ERJ, militaires et d’affaires. En décembre dernier, Colin Steven, ancien VP Sales & Marketing d’Embraer, a plaidé coupable devant un tribunal américain dans une affaire de corruption concernant un contrat avec l’Arabie saoudite. Colin Steven a été inculpé de violation de la loi américaine contre la corruption (FCPA). Il a plaidé coupable d’avoir versé des pots-de-vin à des officiels étrangers dans le cadre de la signature de la vente de trois avions d’affaires à la société pétrolière saoudienne publique Aramco pour $3 millions en 2010. En 2016, l’avionneur brésilien s’était acquitté d’une amende de $205 millions pour avoir versé des pots-de-vin en Arabie saoudite et en Inde. D’autres versements pour un total de $5,7 millions avaient été effectués en Inde dans le cadre un contrat d’avions militaires. Des commissions illicites avaient également été effectuées en République dominicaine et au Mozambique, selon les autorités américaines à l’époque. La loi dite FCPA permet aux autorités américaines de sanctionner les entreprises américaines ou actives aux Etats-Unis qui se rendent coupables de corruption partout dans le monde.