L’actuel duopole entre Arianespace et SpaceX va évoluer au cours des prochaines années avec la montée en puissance de l’Inde et du Japon. Ces deux pays ne sont pas des nouveaux venus dans le secteur spatial mais leurs ambitions et leurs investissements financiers sur le marché spatial vont les propulser sur la scène internationale. Si jusqu’à maintenant les lanceurs indiens et japonais ont été réservés pour les lancements nationaux, la situation bouge.
Pour Arianespace et SpaceX, cela ne représente pas encore aujourd’hui une réelle menace concurrentielle mais d’ici trois-quatre ans les cartes pourraient bien être rebattues. Et si le marché des satellites commerciaux GTO ne repart pas à hausse avec quinze à vingt contrats signés annuellement, la concurrence risque d’être féroce.
En juin dernier, l’Inde a lancé, pour la première fois, un nouveau lanceur qui n’utilise que des technologies localement conçues, dont un moteur cryotechnique, augmentant ainsi sa capacité de lancement de satellites. Le lanceur GSLV-MkIII a placé en orbite un satellite de communication de plus de trois tonnes GSAT-19. C’est un peu moins que les satellites de la famille GSAT (3,4 tonnes pour GSAT-17) construits sous la responsabilité de l’Agence spatiale indienne (ISRO) et traditionnellement lancés par Arianespace. La société européenne a dans son carnet de commandes un autre satellite indien, GSAT-11, qui pourrait bien être l’un des derniers lancés par les Européens si le lanceur GSLV-MkIII tient ses promesses.
Le succès des Indiens ne fait donc pas forcément les affaires d’Arianespace qui voit là l’un de ses plus anciens et de ses plus fidèles clients s’émanciper puisque l’Inde sera sous peu en mesure d’envoyer dans l’espace des satellites pesant jusqu’à quatre tonnes et rejoint ainsi le club très fermé de pays capables d’envoyer en orbite de gros satellites de télécommunications. L’Inde dépendait jusqu’ici de lanceurs étrangers pour ses satellites d’un poids supérieur à 2,5 tonnes.
Le programme spatial indien est très ambitieux puisque, outre l’autonomie en termes de lancements (institutionnels et commerciaux), l’Agence spatiale indienne travaille sur un projet de navette réutilisable destinée à placer en orbite des satellites, elle planche également sur des missions vers Jupiter et Vénus.
Non seulement Arianespace perd un client traditionnel, mais le GSLV-MkIII pourrait se révéler un encombrant concurrent tant pour Ariane 5 que pour la futur Ariane 6 à l’horizon 2020-2022. La cadence de tirs et la fiabilité du GSLV-MkIII seront des éléments déterminants. Tout comme les tarifs de lancements qui seront pratiqués par les Indiens sur le marché commercial. A 60-70 millions de $ le lancement simple, la concurrence risque d’être très dure pour Ariane 6 qui est plutôt située dans une enveloppe de 80 millions de $, au mieux.
Outre l’Inde, le Japon est à l’offensive. Mitsubishi Heavy Industries (MHI) a été sélectionné par le groupe britannique Inmarsat pour le placement dans l’espace du premier satellite de télécommunications avancées de la flotte Inmarsat-6 ( satellite électrique construit par Airbus DS) dont le lancement est prévu en 2020. Il s’agit d’une nouvelle importante pour MHI qui peine à remporter des commandes commerciales faute d’être compétitif en termes de prix de lancement. De plus, l’actuel lanceur H-2A est mobilisé le plus souvent retenu pour des missions institutionnelles ou gouvernementales au Japon.
MHI se targue d’un taux de réussite de plus de 97% pour la H-2A qui a
enregistré 29 succès d’affilée depuis 2005. Ce lanceur, entré en service en
2001, n’a jusqu’à présent connu qu’un échec, en 2003, avec l’exemplaire numéro
6. Pour remédier à ce manque de compétitivité, MHI compte revenir dans le marché commercial aux alentours de 2020 avec un nouveau lanceur – le H-3-, censé concurrencer notamment Arianespace qui a placé jusqu’à aujourd’hui quelque 75% des satellites commerciaux japonais.
Ariane 5/Ariane 6, Soyouz, le GSLV-MkIII indien, un nouveau lanceur H-3 japonais, le Falcon 9 de SpaceX, le Proton M d’ILS ou encore le futur lanceur New Glenn du fondateur d’Amazon, Jeff Bezos. Si tous ces lanceurs se retrouvent effectivement sur le marché aux alentours de 2020, la concurrence risque d’être féroce. Voilà bien longtemps que le marché des lancements commerciaux n’avait pas connu une telle ébullition dans un contexte passionnant.