Parmi les décisions prises lors du Conseil franco-allemand de défense du 13 juillet dernier, il en est une qui, plus que les autres, a retenu l’attention : les 2 pays ont convenu de « développer un système de combat aérien européen pour remplacer leurs flottes actuelles d’avions de combat (…) ». Largement commentée, cette annonce a surpris ceux qui ne voyaient pas la chancelière Merkel s’engager sur un sujet aussi sensible quelques semaines avant les élections allemandes ou qui ne voyaient pas d’urgence à aborder cette question. Certains y ont vu un affichage politique de l’ambition nouvelle de coopération entre Paris et Berlin dans le domaine de la défense, d’autres la volonté d’ouvrir une perspective commune pour la succession, le moment venu, des actuels Rafale et Eurofighter. Rien de surprenant entre 2 grands pays européens qui n’ont pas fait le choix de s’équiper avec l’ultra-sophistiqué et fort coûteux F-35 américain.
En réalité, cette déclaration a été proposée et obtenue par la France, inquiète de voir l’Allemagne lancer des études pour le remplacement de ses avions Tornado à l’horizon 2030 et afficher explicitement une option d’acquisition de F-35 dans ce cadre. On a compris en effet à Paris que si Berlin faisait l’acquisition d’avions américains, même en nombre limité, une coopération européenne sur un projet aussi ambitieux avait peu de chance de voir le jour. Et que, faute d’une coopération permettant le partage des coûts, l’industrie européenne dans ce secteur stratégique serait condamnée à terme.
Après l’annonce politique du 13 juillet, trois risques menacent ce projet.
Celui de la convergence des calendriers :
– Du côté allemand, le plus urgent est de prévoir une solution pour la succession des Tornado qui doivent être retirés du service entre 2025 et 2035. Spécialisés dans la mission air-sol, ils sont complémentaires des Eurofighter et jouent un rôle stratégique dans le cadre de l’OTAN avec la capacité d’emporter des armes nucléaires américaines. Cette mission semble avoir aujourd’hui une place dimensionnante dans les raisonnements de la Luftwaffe (et favorise en définitive, ne serait-ce que pour des raisons d’interopérabilité, un scénario F-35 qui aurait ses préférences…). Si cette question n’est pas résolue autrement, avec par exemple le développement d’une version air-sol de l’Eurofighter, le risque est donc important de voir l’Allemagne rejoindre le camp des pays F-35, avec ses funestes conséquences pour l’industrie européenne de l’aviation de combat… Du côté français, l’approche est plus attentiste puisque le Rafale, dans sa version actuelle, pourrait durer jusqu’en 2040, voire au-delà, et que des versions dites MLU ou NG permettraient peut-être de le prolonger encore en améliorant ses performances.
2) Celui de l’entente sur la définition du ‘‘système de combat aérien’’: les 2 armées de l’Air semblent partager une même vision qui élargit la problématique au-delà du seul avion de combat, en considérant que la numérisation et la connectivité font de la plateforme aérienne de demain le poste de pilotage d’une manœuvre aérienne associant plusieurs vecteurs pilotés ou non-pilotés. Un gros travail de design conceptuel doit par conséquent précéder le développement du futur avion de combat (défini en fonction du rôle nouveau qui lui sera assigné, et non plus en améliorant les performances des plateformes actuelles).
3) Celui de l’organisation industrielle d’un projet dont l’ambition exige une mutualisation des compétences et des ressources et par conséquent un redécoupage du panorama actuel structuré autour du ‘‘schisme de 1985’’ (lorsque la France laissa ses partenaires européens développer l’Eurofighter pour se lancer seule dans l’aventure du Rafale). L’association des deux entreprises, Airbus et Dassault, qui se font aujourd’hui concurrence sur les marchés export, est une ardente obligation autant qu’un défi insoluble si on l’aborde en termes de leadership. La différence entre ces deux acteurs est que celui qui apporterait la contribution industrielle de l’Allemagne, avec un chiffre d’affaires vingt fois supérieur, ne risque probablement pas sa survie sur ce seul enjeu.
Les obstacles qui se dressent sur la route de la déclaration du 13 juillet sont donc de taille. Ils nourrissent le scepticisme de ceux qui, pour différentes raisons, sont hostiles à ce rapprochement. La capacité des décideurs politiques à imposer sans faux-fuyant un mariage de raison entre Dassault et Airbus est sans doute la clé de la réussite industrielle d’un projet capital pour l’Europe de la défense.