Stéphane Israël : « Plutôt que d’être obnubilés par un lanceur récupérable, les Européens devraient réfléchir à l’éventualité d’un petit lanceur ultra-compétitif dédié aux orbites basses » (*)PDG d’Arianespace

Comment évolue la concurrence dans les lanceurs commerciaux?

Après avoir sous-estimé SpaceX, veillons à ne pas le sur-estimer, et surtout ayons notre propre stratégie, car nous évoluons dans des environnements, y compris de marché, qui resteront différents ! Notre compétiteur a une feuille de route très ambitieuse tant en termes de manifeste que d’innovations technologiques. Dans le même temps, il doit réussir le retour en vol de son lanceur actuel. Nous verrons bien. En ce qui concerne les autres lanceurs, américains (Atlas), indiens (GSLV) et japonais (H2), je pense qu’ils resteront des concurrents limités dans les années à venir. Mais à mon avis, une grande question aujourd’hui est celle de l’espace commercial s’agissant des orbites basses. Les projets de constellations se multiplient dans une course à la connectivité globale et à l’imagerie-multi-informationnelle. Si ce marché prospère, il y aura un besoin d’un petit lanceur ultra-compétitif et ultra-disponible dédié spécifiquement à ces constellations. A mon sens, les Européens, à commencer par l’industrie puisqu’il s’agit de perspectives essentiellement commerciales, doivent se poser très vite cette question en parallèle du projet Ariane 6. Un tel projet serait peut-être plus pertinent que la quête d’un lanceur récupérable, qui, au-delà de sa faisabilité technologique, pose de nombreuses questions économiques. Plutôt que d’être obnubilés par un lanceur récupérable, les Européens devraient  réfléchir à l’éventualité d’un petit lanceur ultra-compétitif dédié aux orbites basses.

C’est la première fois qu’Arianespace se retrouve quasiment seule sur le marché commercial…

Oui et non…C’est vrai qu’aujourd’hui, nous sommes avec Ariane 5 le seul lanceur qui n’ait pas été cloué au sol par un échec récent.  Cela a une valeur pour nos clients, qui se traduit dans les contrats que nous venons de signer et d’autres à venir. Toutefois, Proton est reparti en vol, et SpaceX se prépare. A cet égard, nos clients ont toujours dit qu’ils voulaient disposer de trois lanceurs. Peut-être feront-ils en sorte de ne pas « s’enfermer » dans un duopole entre Arianespace et notre compétiteur américain. Nous savons d’ailleurs qu’ILS cherche à revenir sur le marché avec des prix cassés. Une fois dit cela, je note qu’il est difficile d’avoir trois lanceurs disponibles, des prix de lancement toujours plus bas et la fiabilité qui va avec. S’agissant des satellites de télécoms, le marché ouvert à la concurrence est étroit : on parle d’environ 25 satellites / an. Quand on se tourne vers le passé, le marché a plutôt été structuré par deux lanceurs que trois. La pression sur les prix est aujourd’hui considérable. La baisse de l’euro face au dollar combinée avec notre plan de compétitivité nous permet d’y faire face. Ensuite, il y aura Ariane 6. Mais nos clients doivent accepter que la fiabilité ait un coût…donc un prix.

Contre toute attente, on assiste au retour des constellations que personne n’avait prévu…

C’est vrai qu’il y a quelques mois encore personne n’aurait parié que OneWeb irait aussi vite dans l’avancement de son projet. Je me félicite qu’Arianespace, grâce à son offre avec Soyouz et la multiplicité des pas de tir de Guyane et de Baïkonour, ait su tirer son épingle du jeu. Je peux vous dire que tout cela n’était pas gagné d’avance et que nous avons su être à l’écoute de notre client. Aujourd’hui, il y a des facteurs objectifs pour le succès de ces constellations : l’explosion du besoin de connectivité ; la miniaturisation des satellites ; la baisse des coûts de lancement ; les possibilités d’inter-opérabilité entre LEO et GTO ; les évolutions des stations et des équipements sol.  Et les projets se multiplient : SpaceX prévoit de déployer dès 2016 deux satellites expérimentaux pour une  constellation qui devrait en comporter 4000. D’autres projets sont en cours comme LeoSat, dont la conception a été confiée à TAS, ou encore Samsung qui réfléchit également à une constellation. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que les opérateurs font aussi le choix d’autres solutions que le LEO pour répondre au besoin de connectivité : SES a fait le parti du MEO avec la constellation O3B, que nous avons déjà lancée avec succès à trois reprises, et qui est pour nous un projet clef ; Eutelsat, de son côté, mise beaucoup sur le GTO pour assurer de futurs services broadband. Je pense que ces différentes solutions peuvent se conjuguer, comme le montre le choix d’Intelsat d’organiser une inter-opérabilité entre ses satellites GTO et la constellation LEO de Greg Wyler.

Propos recueillis par Bruno Lancesseur

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Bruno Lancesseur est rédacteur en chef la lettre AeroDefenseNews.net Pour nous contacter envoyez votre adresse mail à aerodefensenews@gmail.com
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