Entretien avec Mawan Lahoud
Quelle analyse faites-vous de la politique industrielle actuelle en France ?
La situation en France est assez surprenante dans la mesure où un certain nombre de facteurs pourraient aller contre la compétitivité de l’industrie française. Par exemple l’instabilité fiscale. La fiscalité en soi n’est pas un handicap insurmontable mais les changements permanents ne permettent pas de planifier ce qui est particulièrement pénalisant pour les entreprises. Les coûts ne sont pas compétitifs, du point de vue de l’industrie. Pour les secteurs exportateurs, nous avons subi des années de changes défavorables. L’euro fort a été le crédo de la Banque Européenne pendant des années, soutenu par un consensus général selon lequel l’euro fort était globalement une bonne chose pour l’économie. Il est étonnant de noter qu’aujourd’hui un certain nombre de personnes se félicitent de l’évolution des taux de change en reconnaissant que c’est favorable aux exportations. Soit ces personnes n’avaient pas de conviction et faisaient de la politique, soit ils ont changé d’avis et c’est une bonne chose ! Pour résumer, nous faisons face à de nombreux facteurs de non-compétitivité et malgré tout, nous parvenons à avoir dans certains secteurs une industrie compétitive.
Quels sont les ingrédients de ces succès ?
Pendant longtemps nous avons capitalisé sur le fait que nous avions une ressource humaine très qualifiée, notre organisation nous permettait d’avoir une productivité élevée qui s’est améliorée au fil des années. Malheureusement, c’est sur ces points précis que je suis un peu inquiet. Notre écosystème, c’est-à-dire l’espace dans lequel nous trouvons les compétences et les organisations pour faire telle ou telle activité change. Aujourd’hui, ma préoccupation vient du fait que le système éducatif en général, de formation supérieure ou de formation technique, se détourne de l’activité industrielle. Il faut que l’on parvienne à trouver une meilleure intégration entre l’enseignement secondaire et l’entreprise. Cela commence assez tôt et je pense qu’il faut stimuler les carrières techniques, l’envie de carrières techniques, et ce dès le collège. Il faut qu’au niveau des collèges et des lycées professionnels il y ait une adéquation des formations aux besoins de l’industrie. Pour cela, il faut que chaque secteur se prenne en mains. C’est d’ailleurs ce que l’aéronautique tente de faire dans ses bassins d’activités pour qu’à la sortie des lycées professionnels il y ait des jeunes qui aient les formations dont a besoin l’industrie. Il faut, largement développer l’apprentissage pour tirer un trait sur la logique actuelle qui veut qu’il y ait un temps pour les études et un autre pour le travail. L’alternance et la formation continue ne fonctionnent pas en France et c’est pour moi un grand sujet d’inquiétude.
En ce qui concerne la formation supérieure (universités et écoles d’ingénieurs), le niveau général baisse, c’est une évidence. Il faut que le niveau général moyen des écoles reste élevé et peut-être faut-il un peu plus stimuler la compétition entre ces écoles. Il ne faut absolument pas que par souci d’équité, on en vienne à niveler par le bas. A tous les niveaux, il faut former des jeunes très qualifiés, de l’enseignement professionnel à l’enseignement supérieur. C’est cela qui nous a sauvé pendant ces vingt dernières années et qui nous a permis d’atténuer tous les problèmes de compétitivité que nous rencontrons. Si nous tournons le dos à cela, je ne vois pas comment nous allons rester compétitifs.
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