« Il y aura plus de changement dans les dix prochaines années dans le secteur spatial qu’au cours des 50 dernières années », assure un familier du secteur rencontré à Satellite 2015. En tout cas, voilà bien longtemps que l’on n’avait pas vu pareille remise en cause dans l’industrie spatiale, de l’Europe aux Etats-Unis, avec l’arrivée de nouveaux modèles économiques, une nouvelle génération d’entrepreneurs, des projets innovants, l’arrivée réussie de SpaceX sur le marché des lancements commerciaux et le grand retour des constellations en orbite basse et moyenne comme Iridium Leosat, O3B, et bientôt OneWeb, une initiative lancée par Greg Wyler…ancien fondateur d’O3B. Ces projets de constellations inquiètent d’ailleurs les opérateurs historiques comme Eutelsat dont la stratégie est basée sur l’orbite haute. SES, désormais premier opérateur mondial de satellites, semble mieux protégé par cette prochaine concurrence grâce à son investissement dans O3B dont il est l’actionnaire majoritaire. «Bienvenue aux constellations LEO, si elles marchent. Chez Eutelsat, nous pensons que l’orbite GEO peut apporter plus de valeur que les orbites LEO. Le GEO a encore de très belles années devant lui grâce à des technologies comme le HTS», se défend Michel de Rosen, PDG d’Eutelsat, qui s’exprimait à Satellite 2015 à Washington la semaine dernière. Les détracteurs des constellations se souviennent et rappellent avec délice les tristes expériences des années 2000, le passage d’Iridium et de Globalstar par le Chapitre 11 et les dizaines de milliards de dollars perdus. Soit. Mais en quinze ans beaucoup de choses ont changé. De nouvelles technologies sont sur le marché et elles sont plus abordables. « L’industrie a besoin des ces défis pour se développer, tempère John Celli, Président de Space System Loral (SSL), et la motivation des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) est différente de celle des investisseurs d’il y a 15 ans ; les gars de la GAFA estiment qu’ils ont une mission : connecter la terre entière à Internet ! ».
« De la haute couture au prêt-à-porter ». Bousculés par ces projets de constellation, les grands opérateurs de satellites n’en oublient pas pour autant leur rentabilité et ils mettent la pression sur les sociétés de lancement priées d’aligner leurs prix sur ceux de SpaceX (référentiel de $62 millions) mais aussi sur les constructeurs de satellites. «Il faut plus de flexibilité entre le moment où la décision de construire un satellite est prise et son lancement, il faut passer de 5 ans à 2,5 ans», martèle Michel Karim Sabbagh, Président et CEO de SES. Certes, ce message n’est pas nouveau mais il devient récurent, et insistant, parce que les progrès ne sont pas aussi rapides que les clients le souhaiteraient mais aussi à cause de la pression des nouveaux entrants issus de la Silicon Valley. Même pression chez les constructeurs de satellites qui doivent relever les défis technologiques et de production. «Si l’on veut fabriquer des centaines de satellites pour ces constellations, il faut revoir notre organisation interne mais aussi celle de nos fournisseurs. Nous sommes en train de passer de la haute couture au prêt-à-porter», résume Jean-Loïc Galle, PDG de Thales Alenia Space (TAS). L’un des rares constructeurs à avoir pris, certes avec prudence, la mesure du changement, probablement grâce à son expérience acquise avec Greg Wyler et O3B pour lequel TAS a construit les satellites. Le nouveau projet de Greg Wyler, OneWeb, prévoit pas moins de 1.000 satellites d’environ 150 kg avec un défi colossal : produire deux satellites par jour contre 4 satellites par mois pour Iridium. Des satellites que TAS compte bien évidemment construire. C’est ce qu’on appelle un changement de paradigme.
Bruno Lancesseur
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