- Comment avance le dossier Ariane 6 ?
- Nous passons les étapes clés de façon très encourageante. Le choix est arrêté avec une configuration composée de quatre boosters identiques, je pense que c’est finalement le seul moyen d’avoir un lanceur compétitif. Si on passe à une cadence de dix tirs, cela génèrera la production de 40 boosters par an, si on passe à une cadence 15, cela en fait 60 à produire… c’est vraiment le point clé. J’insiste sur ce point, s’il n’y avait pas cette caractéristique technique d’Ariane 6, les objectifs de coûts dont on parle seraient pratiquement intenables. Cette approche technique permettra d’être compétitif face aux autres lanceurs existants et à venir. Maintenant, nous sommes dans un processus de consultation industrielle qui débouchera sur un montage industriel. D’une manière générale, je suis très favorablement impressionné par la manière dont tout cela se déroule.
- Côté industriels, il y a des inquiétudes, voire des critiques sur Ariane 6, elles vous semblent justifié ?
- Elles ne sont pas justifiées mais je les comprends. Il y a des appréhensions parce que nous changeons de monde. Le débat sur la configuration d’Ariane 6 existe exactement comme celui sur le passage d’Ariane 4 et Ariane 5 voici 25 ans !
- Nous avons eu les mêmes problématiques lorsque l’on est passé d’Ariane 4 à Ariane 5. Pourtant, l’évolution du mode d’organisation industrielle entre Ariane 5 et Ariane 6 est bien moindre qu’entre Ariane 4 et 5, le choc technologique était alors bien plus fort. Rappelez-vous qu’à l’époque nous avons entièrement changé de mode de propulsion. On avait alors des industriels qui produisaient une propulsion liquide et de manière marginale de la «cryo» et nous sommes passés à un lanceur à poudre avec ce que j’appelle de la «grosse cryo», puis au développement du moteur Vulcain. Avec Ariane 6 la transition est beaucoup plus douce puisque l’on garde la poudre. La différence est que l’on passe à de la «grosse cryo» à de la «moyenne cryo» sur la partie haute du moteur Vinci.
- Ariane 6 sera donc l’un des lanceurs les plus compétitifs du marché ?
- J’insiste sur ce point, nous avons choisi de faire ce lanceur, Ariane 6, dans cette configuration technique parce que c’est le seul moyen qui nous permette de rester dans la course. Nous n’avons pas choisi la poudre pour faire plaisir aux uns ou aux autres… J’ajoute que le choix de la poudre (PPH, 1er et 2ème étage à poudre, 3ème étage liquide) n’a de sens qu’à partir du moment où il y a quatre boosters identiques, sinon cela ne marchera pas. Lorsque les industriels sont arrivés avec des configurations différentes (trois boosters à poudre différents pour la partie basse, etc.), cela n’avait pas de sens.
- Nous considérons que si la transition est bien gérée, c’est-à-dire si nous allons vers une bonne cadence de tirs d’Ariane 6, l’augmentation des lancements compensera le fait que le moteur est plus petit. Sur une Ariane 5, aujourd’hui, vous avez le moteur Vulcain et le moteur HM7, (un gros et un petit moteur) et les industriels en font cinq par an… L’objectif est que demain nous fassions de 10 à 15 moteurs Vinci par an. Nous avons fait les calculs, à partir de dix moteurs fabriqués par an, cela se compense. Deux moteurs Vinci, c’est l’équivalent de 1 Vulcain et 1 HM7.
- La décision qui a été prise début juillet pour Ariane 6 -on le verra après coup-, est extrêmement importante pour l’industrie spatiale européenne.
- Le premier tir d’une Ariane 6 est toujours fixé pour 2021-2022 ?
- Non, il faut aller plus vite, il faut tout faire qu’Ariane 6 arrive le plus vite possible sur le marché. Je suis frappé de voir à quel point le paysage concurrentiel évolue vite. Il est encore trop tôt pour donner une date mais il faut gagner un ou deux ans sur le calendrier. Certes, la situation est compliquée industriellement mais c’est possible. Le fait qu’il y ait quatre boosters identiques rend justement la situation plus simple…
- Le premier tir d’une Ariane 6 en 2019, c’est un objectif ?
- C’est un sujet qui est sur la table, ce n’est pas encore un objectif, mais c’est le point auquel il faudrait arriver, oui.
- L’environnement concurrentiel se complique. Space X va faire des lancements GTO. Sans avoir lancé, Space X a déjà fait du tort à Arianespace en signant des contrats qui ont entraîné une baisse des prix sur le marché des lancements. Il va y avoir un lacement Space X dans quelques jours, en cas de succès ils vont rebattre les cartes.
- De même, après les échecs du lanceur Proton, les Russes ont baissé leurs prix parce que les taux d’assurance ont augmenté… Il s’est déroulé pendant les vacances un évènement, à mes yeux, très important c’est que le gouvernement allemand a acheté à Space X trois lancements pour ses satellites d’observation ; c’est lourd de sens, non ? Or, ces satellites auraient pu être lancés par Vega ou Soyuz. Et je suis convaincu que si nous avions pu proposer une solution de lancement dans laquelle l’industrie allemande était partie prenante ils ne seraient pas allés chez Space X.
- Nous sommes dans un environnement où les constantes de temps sont longues. Je note à ce sujet que cette problématique de marché a été bien comprise par notre ministre Geneviève Fioraso et c’est la première fois qu’un ministre chargé de l’espace rentre autant dans le détail.
- Les fondamentaux des systèmes de lancements de part le monde sont totalement différents. Ariane est un lanceur sûr avec une approche zéro échec, Proton connaît des échecs mais leur approche statistique est différente de la nôtre. Sea Launch est toujours là, les Chinois prennent pas mal de contrats en offrant un package satellite chinois/lancement chinois et aides diverses aux opérateurs en Afrique et en Amérique du Sud et c’est autant d’opportunités qui ne sont pas sur le marché international.
- Mais si vous avancez le calendrier d’Ariane 6, il faut aussi avancer celui d’Ariane 5 ME ?
- Nous verrons cela lors de la prochaine conférence ministérielle de 2014. Il y aura des choix à faire, c’est trop tôt pour en parler. Il y aujourd’hui deux sujets : dans un an où en sera Space X et où en sera le Proton ? Entre deux scenaris extrêmes (échec de Space X et Proton sort du marché à cause de nouveaux échecs), et, de l’autre : plein succès de Space X et le Proton renoue avec le succès. Voilà deux hypothèses qui vont transformer le marché actuel des lanceurs en profondeur.
- La propulsion électrique des satellites est sur le point de bouleverser le marché, cela vous semble une tendance pérenne ?
- Ces satellites sont apparus sur le marché voici dix ans et, à l’époque, personne n’y a vraiment cru parce que, il faut le reconnaître, les résultats techniques n’ont pas été concluants. Un certain nombre de satellites électriques a d’ailleurs été lancé par Boeing mais cela s’est terminé par des échecs donc on n’en a plus parlé.
- Boeing est revenu sur le marché voici deux ans avec beaucoup d’ambition et il propose, aujourd’hui, aux clients un package comprenant un satellite électrique lancé par Space-X. Voilà où nous en sommes.
- Pour résumer, les satellites électriques ont une particularité, ils sont volumineux mais légers. Avec seulement une masse de 2,5 tonnes c’est l’équivalent d’un satellite classique de 6 tonnes dont vous avez enlevé le moteur chimique et les ergols. Résultat, vous gagnez en coût de lancement, le satellite coûte moins cher à construire. Toutefois, en contrepartie, la durée de mise à poste est plus longue, de l’ordre de trois à six mois, mais trois mois seulement avec un lancement Space-X. Si Boeing parvenait à réduire ce laps de temps, alors cela donnerait un coup d’accélérateur au marché des satellites électriques dont les premiers exemplaires de Boeing doivent être lancés en 2014. De mon point, de vue, je ne m’attends pas à un raz de marée de ces nouvelles plates-formes, du moins à court terme car ce sont des processus qui prennent du temps.
- Quelle est la réponse des Européens à cette nouvelle concurrence ?
- C’est pour cette raison que nous avons décidé d’investir dans l’allongement de la coiffe d’Ariane 5 afin que dans la partie basse où l’on loge un petit satellite, il y ait à peu près deux mètres de plus pour placer un satellite électrique avec les antennes pliées vers le haut. C’est aussi pour cette raison que nous avons décidé de réagir lors de la conférence ministérielle de Naples où 250 millions d’euros ont été votés pour le développement des satellites de nouvelle génération NEOSAT à propulsion électrique et qui associe Thales Alenia Space et Astrium.
- Propos recueillis par Bruno Lancesseur