Alors que la coopération européenne d’armement connait une embellie et que l’agenda franco-allemand se garnit de perspectives ambitieuses, un débat se développe autour de la politique d’exportation qui s’appliquerait aux matériels produits en collaboration. Il est en particulier frappant d’observer le procès instruit par certains en France face aux prises de position que suscite outre-Rhin la question des ventes d’armes. Essayons d’y voir plus clair en mettant en évidence les dissymétries et les convergences de part et d’autre :
1) Il est exact que le sujet soulève, du côté allemand, une sensibilité importante de l’opinion publique, exploitée à des fins électorales par les responsables politiques. S’est ainsi installé un jeu de rôles où la gauche (SPD et Verts) s’oppose publiquement aux exportations militaires, tandis que l’alliance CDU-CSU n’y fait pas obstacle (sans s’en faire pour autant le champion…). Cette situation est évidemment liée au débat plus général qui, pour des raisons historiques, inhibe encore l’Allemagne en matière de défense. Elle est à l’opposé de ce que nous connaissons en France où rares sont les responsables politiques qui n’applaudissent pas aux récentes percées du Rafale sur les marchés extérieurs.
2) Derrière ces positions d’estrade, il y a une réalité : en 2017, l’Allemagne était, selon le SIPRI et en termes de livraisons, le quatrième exportateur mondial d’armes juste derrière la France. Et la vente d’armement obéit des deux côtés à la même double appréciation : l’une de politique étrangère, pas toujours alignée entre Berlin et Paris, même si les divergences d’évaluation d’un client potentiel ont finalement peu de raisons de se multiplier ; l’autre économique avec des objectifs de commerce extérieur et, surtout, d’amortissement du développement du matériel à exporter. Avec l’augmentation des coûts non-récurrents pour les programmes les plus avancés technologiquement, ce dernier aspect occupe une priorité accrue et non contestable. S’agissant de projets en coopération, les bénéfices à attendre de l’exportation sont par conséquent identiques pour les partenaires, et son impact politique, positif ou négatif, ne renvoie en définitive aujourd’hui qu’à des considérations intérieures.
3) Paradoxalement, la réglementation applicable aux exportations d’armement est beaucoup plus stricte en France, puisqu’elles sont tout simplement interdites, quel qu’en soit la nature ou le destinataire, sauf autorisation accordée par une commission interministérielle (la CIEEMG) aux termes d’une procédure administrative parfaitement rigoureuse. L’approche allemande, encadrée par une loi fédérale, diffère sensiblement : les autorisations d’exporter relèvent du ministère de l’Economie ; elles ne concernent en tout état de cause que les « armes de guerre » ; sauf cas particulier, elles ne peuvent pas être refusées si le pays destinataire est un pays allié (membre de l’OTAN, Japon, Australie, Suisse,…) ; en revanche, la vente est réputée interdite s’il existe un risque d’emploi dans une zone d’instabilité. Au total, le système allemand, s’il est moins lisible, n’est pas moins permissif que celui en vigueur en France, bien au contraire…
4) Cette question de l’exportation des équipements produits en coopération n’est pas nouvelle. Elle avait été abordée dans la période faste des années 1960 où de nombreux programmes collaboratifs, notamment franco-allemands, voyaient le jour. A l’époque, un accord avait été trouvé entre les deux ministres de la défense, Helmut Schmidt et Michel Debré : sans être légalement contraignant, le principe était établi qu’aucun des deux pays ne ferait obstacle aux exportations par l’autre du matériel produit en commun. Chacun trouvait son compte dans une règle simple permettant en réalité à l’industrie allemande de bénéficier, sans en assumer la responsabilité politique, de ventes conduites par la France. Mais ce principe est aujourd’hui celui qui prévaut dans les accords Eurofighter que l’Allemagne applique avec discipline, comme en attestent les récentes ventes conclues par le Royaume-Uni avec des pays du Golfe, zone réputée instable !…
Factuelle, l’analyse qui précède conduit à se demander quel est l’objectif poursuivi par ceux qui dénoncent aujourd’hui une politique allemande d’exportation restrictive en en faisant un obstacle préalable au lancement de programmes en coopération dont les perspectives à l’export s’ouvriront au mieux dans 15 à 20 ans… Pompiers pyromanes, ils ne font qu’attiser la médiatisation politique de la question outre-Rhin au risque d’en faire un véritable sujet de confrontation.