ANALYSE.  Décarbonation du transport aérien, des enjeux et beaucoup de défis à l’horizon 2050 

Les transporteurs aériens sont aujourd’hui confrontés à un enjeu de survie à court terme consécutif à une crise multiforme brutale à la fois technique, technologique, réglementaire, industrielle, conceptuelle, sanitaire, commerciale, économique, financière, énergétique et environnementale. Ceci, abrité derrière le vocable fourre-tout de « gestion de la transition énergétique pour faire face au réchauffement et au dérèglement climatique ».

Les exploitants aériens attendent une réponse ou une orientation pour chacun des thèmes suivants aux conséquences multiples.

– Technique : perte de crédibilité des constructeurs et des autorités de certification post Boeing 737MAX,

-Technologique : arbitrage de l’application et de l’utilisation de processus et de matériaux nouveaux,

– Conceptuelle : quelle agrégation d’architectures pour la cellule, les moteurs et les  systèmes. Intégration homogène des outils de calculs informatiques,

– Réglementaire : certification, délégation, produits dérivés,

– Industrielle et logistique (schéma des coopérations industrielles, partenaires critiques, sensibles). Comment sécuriser les sources d’approvisionnement () en situation de crise géopolitique et de carence d’indépendance de fabrication des composants et produits de haute technologie,

– Sanitaire : filtrage et contrôle des passagers, traitement des cabines etc.

– Commerciale : nature des trafics (F,C,Y+,Y, Cargo), saisonnalité et chiffre d’affaires associé,

– Economique : remise en question des business modèles,

– Comptable : accélération des dépréciations par obsolescence énergétique, impact sur TAROC (Toral Airplane Related Operating Cost),

– Financière : pour le développement et l’industrialisation des nouveaux produits disruptifs, pour l’acquisition de nouvelles flottes, pour la cession de flottes «périmées», rôle des loueurs,

– Energétique : quels vecteurs et quelles sources d’énergies, hybridation, coûts, distribution,

– Chronique des disponibilités énergétiques et technologiques,

– Environnementale : projection des effets et impacts proportionnels,

– Politique, disgrâce du transport aérien en faveur du ferroviaire, complaisance avec les mouvements écologiques,

– Pédagogie et lobbying

Le premier point à analyser est l’état des lieux de la situation présente. Quelles sont les performances opérationnelles, économiques et énergétiques des appareils en opération aujourd’hui et à l’horizon de 5 ans (avions, énergies, trafic…).

Deuxième point : les hypothèses de reprise d’activité (régional, court-courrier, moyen-courrier, long et très long-courrier, cargo, sectorisation géographique, saisonnalité, concurrence entre compagnies dites legacy et Low Cost et la prise en compte des compagnies émergentes. Vient ensuite le choix des axes prioritaires, l’inventaire des solutions crédibles de substitution, à moyen et long terme.

Troisième  point, quels réseaux, quels trafics (nature et volume), quels compétiteurs (constructeurs et compagnies).

Quatrième point : quels avions pour le régional, le moyen et le long-courrier (et le fret) : cohérence technique, opérationnelle, énergétique (cf : définition du « bon avion »* et de « l’avion sexy **» pour les investisseurs, compagnies aériennes, banques, loueurs »).

Cinquième point enfin, la gestion de la TRANSITION, qui concerne les flottes, les investissements, les qualifications, les moyens sol …en cohérence avec les principes de gestion optimale de flotte (5Tés) ***

Et d’autres points…

Au-delà des propositions de réponses à ces sujets majeurs, il doit être apporté une réponse aux points suivants plus exogènes : quelles hypothèses pour les coûts des carburants SAF, H2L, de synthèse etc. en coût de production, en logistique de distribution, en stockage, en approvisionnement sur les aéroports majeurs et exotiques, en sécurité ?  L’état comparatif crédible et validé des capacités énergétiques des différents vecteurs et sources d’énergie. L’incidence sur les business plans des investissements des compagnies. La justification des investissements est différente entre les compagnies legacy (renouvellement de flotte financé par les économies de coûts d’exploitation à revenus supposés identiques) et les low cost et les compagnies émergentes avec des financements soutenus par des revenus additionnels de croissance.

De ce fait, les économies induites sont discriminantes dans le cas du renouvellement de flotte et doivent être identifiées de manière crédible. Quelles évolutions des tarifs et du yield management, facturation séparée des taxes nouvelles, facturation identifiée de la participation verte (surcoût des SAF et autres LH2…). Une explication claire sur le concept des décarbonations nette et brute. Faut-il remettre en question vitesse et altitude de croisière (problématique des trainées de condensation amplifiée par l’hypothèse LH2). Les frais de sureté doivent ils être supportés par les Etats ou les passagers via les compagnies.

Face à cette longue liste de facteurs d’instabilité pour les exploitants, une première conclusion s’impose : Tout doit être mis en œuvre pour définir une stratégie cohérente et harmonieuse entre les constructeurs (avionneurs, motoristes, équipementiers, systémiers), le pouvoir politique (réglementation, aide financière à l’innovation effective), les fournisseurs et distributeurs d’énergies, banques et acteurs du transport aérien, compagnies, aéroports, contrôle aérien etc. Pour les avions en particulier, les efforts doivent continuer de porter simultanément sur les facteurs clés de la performance opérationnelle, à savoir : la masse, la trainée et la consommation. Chacun de ces trois sujets devra être traité individuellement puis intégrés. Etudes spécifiques à conduire.

L’objectif de 2050 correspond à un cycle complet de vie d’un avion nouveau, desa conception à son industrialisation, EIS et durée d’exploitation comptablement justifiée. La décarbonation en 2050 signifie-t-elle que toute l’activité aérienne sera décarbonée, ou seulement partiellement avec une progressivité programmée en fonction des capacités financières d’acquisition et des capacités de production ? Si la première hypothèse est retenue, et en jouant avec le compte à rebours pour la recomposition des flottes, cela signifierait que l’avion type, satisfaisant cet objectif doit être disponible vers 2032 afin que le cycle de substitution aux avions de la génération actuelle livrés entre maintenant et en 2035 soient tous retirés du service dans des conditions économiques et financières acceptables.

Ce concept de transition est d’une extrême complexité à traiter pour les compagnies avec la coexistence de deux générations de produits qui par définition devraient être très dissemblables, avec des sujets d’ordre technique, opérationnel, logistique, financier, commercial et surtout social. Ce thème mériterait un séminaire dédié. L’accélération du processus de renouvellement des flottes d’avions NEO et MAX, poussé par les contraintes économiques, énergétiques et environnementales conduira à une modification profonde du business plan des motoristes et de certains équipementiers, dont les revenus sont assurés majoritairement par les ventes de pièces de rechanges et les services et non par le revenu des ventes de « moteurs installés à la livraison initiale ». Cela signifie que pour les nouveaux moteurs, il faille reconsidérer le niveau initial des concessions commerciales et des préfinancements, et de dimensionner correctement la valeur de vente des moteurs installés et des moteurs de rechange. Si, jusqu’à ce jour il y avait une cohérence historique sur les plans conceptuels techniques et industriels avec un distinguo subtil entre avions turbopropulsés (l’hélice est -elle tractive ou propulsive ?) et avions à réaction, le décor pourrait être fondamentalement différent avec des énergies dédiées aux avions de très petite, petite puis moyenne capacité ( LH2, électriques, hybrides) et les gros porteurs long-courriers continuant à utiliser sans alternative des carburants libérant du CO2, des Nox et de l’eau.

Tout cela introduira une discontinuité et une hétérogénéité en termes de formation, de qualification, de logistique, de contrôle, d’exploitation avec une incidence économique lourde. D’où l’impératif d’harmoniser les différentes stratégies objectives et honnêtes des acteurs de cette industrie intégrante, avec un fil directeur réaliste qui devra définir un optimum entre ces facteurs supra-nationaux tels que les émissions, les sources d’énergies, le progrès technique, la sécurité, le désir et le besoin vital de voyager.

Pierre Vellay, Conseil en stratégie flotte avion

* : Agrégation synergique et synchrone de technologies nouvelles validées

** : un bon avion, une famille efficace et équilibrée, un marché fluide, des coûts de transitions contrôlés, un historique fiable (back to birth/ configuration management)

 *** : flexibilité, simplicité, rentabilité, modernité, crédibilité

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A propos aerodefensenews

Bruno Lancesseur est rédacteur en chef la lettre AeroDefenseNews.net Pour nous contacter envoyez votre adresse mail à aerodefensenews@gmail.com
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